Des résultats encourageants
Il fut un temps où « la Marine nationale avait ordre de tirer sur les dauphins », sous prétexte que ces derniers étaient trop nombreux et faisaient de la concurrence aux pêcheurs locaux. L’anecdote, racontée par Alain Barcelo, président du comité scientifique et technique de l’Accord Pelagos, remonte au début du XXe siècle. Quelques décennies plus tard, il n’était pas rare non plus de retrouver des pièces de cétacés au bec pointu sur les étals des pêcheurs varois. Autres moeurs d’une autre époque. Désormais lointaine et révolue.
Garde-manger estival
Le sanctuaire Pelagos fête ses 20 ans et les mammifères marins vous remercient. Dès les années 80, chercheurs et scientifiques avaient observé un peuplement particulièrement important et diversifié de cétacés autour du bassin corso-liguro-provençal. Le Sanctuaire – qui s’étend du Var à l’Italie, en englobant la Corse – est né dans l’idée de protéger cette population des nuisances sonores, des risques de collision avec les navires de commerce, des activités touristiques et de la pollution plastique. L’Accord Pelagos a donc été signé le 25 novembre 1999 à Rome par la France, l’Italie et la principauté de Monaco. L’idée du sanctuaire n’est pas d’interdire son accès au public, mais plutôt de « tout mettre en oeuvre pour que les activités humaines ne perturbent pas trop les mammifères marins ». Comme le rappelle Morgane Ratel, coordinatrice projets à l’association varoise Souffleurs d’écume, « la zone de Pelagos représente un excellent garde-manger estival pour les cétacés ». Ce qui explique que ces derniers sont aussi nombreux au sein du sanctuaire. « Le grand risque au début, rembobine Denis Ody, responsable des programmes cétacés de WWF, c’était que que cet accord ne reste qu’une signature. Il a donc fallu le faire vivre. Et pour cela, il fallait faire preuve de créativité ».
Actions concrètes
Vingt ans plus tard, les principaux acteurs se félicitent des résultats obtenus. Difficile toutefois d’obtenir des chiffres précis sur l’évolution des populations sur cette zone grande comme le Portugal. Il est encore trop tôt pour mesurer les effets de l’Accord à ce niveau. Mais que ce soit « en matière de recherche scientifique, de sensibilisation, de responsabilisation globale ou d’actions concrètes », les responsables des trois pays, réunis le mois dernier à la résidence du préfet maritime à Toulon, assurent que l’Accord a largement « porté ses fruits ». « Nous étions à 53 % de critères atteints en 2015 et nous sommes passés aujourd’hui à 84 % », calcule ainsi Cyril Gomez, président de la Réunion des Parties à l’Accord Pelagos. « Le sanctuaire a permis de mettre en place des actions très concrètes, comme le label pour l’observation des cétacés et le dispositif Repcet, dont le but est de limiter les collisions avec les navires, énumère pour sa part Alain Barcelo (lire pages suivantes). Mais l’idée est aussi de se servir de cette zone pilote qu’est Pelagos pour transposer nos actions ailleurs dans le monde. » C’est d’ailleurs un dispositif déjà existant dans le Pacifique qui a inspiré Souffleurs d’écume pour mettre au point Immercet. « On a juste adapté à la Méditerranée
cette technologie qui vise à immerger les carcasses des grands cétacés au fond de la mer », explique Alain Barcelo. « Au début, ce n’était qu’un projet, ajoute Morgane Ratel. Aujourd’hui, c’est devenu un protocole concret qui permet de recréer une oasis de vie en profondeur. »
Trafic maritime
« En vingt ans, analyse de son côté Denis Ody, l’Accord aura permis d’obtenir pas mal de choses. Il a même servi aux pêcheurs à s’imposer un moratoire sur leurs pratiques. » Mais pour le docteur en océanologie, certaines équations restent tout de même difficiles à résoudre. « Maintenir la population de grands cétacés sur cette zone avec la même augmentation du trafic maritime, ça va être compliqué, prédit-il. On n’a pas envie que Pelagos devienne comme le Canal de Suez, où il n’y a plus aucune bestiole. »