Attaquer le vieillissement pour lutter contre les maladies Recherche
Cibler très tôt les causes du vieillissement pour prévenir les maladies liées à l’âge : Eric Gilson, récipiendaire du Grand Prix Inserm 2019, est un des pionniers de cette approche nouvelle
Directeur de l’Institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (Ircan) qu’il a fondé à la faculté de médecine de Nice en 2012, Eric Gilson se voyait décerner, mardi dernier, le prestigieux Grand Prix Inserm 2019. Depuis 2016, ce scientifique à la renommée internationale coordonne le programme scientifique transversal de l’Inserm AgeMed (pour Aged Cells to Medical Applications), un consortium d’une vingtaine d’équipes françaises dont l’objectif est d’aider les humains à vivre plus longtemps en bonne santé. Rencontre avec l’un des plus grands spécialistes de la biologie du vieillissement.
Pourquoi s’intéresser à la biologie du vieillissement ? Le vieillissement est le premier facteur de risque de beaucoup de maladies : pathologies cardiovasculaires, neurodégénératives, métaboliques comme le diabète de type , de nombreux cancers, l’arthrose… Ce qui laisse supposer que les mécanismes qui nous font vieillir sont à la base d’une grande variété de pathologies. La biologie du vieillissement devient ainsi un problème biomédical majeur. C’est là une notion nouvelle qui ouvre la voie à une alternative au traitement « classique » des maladies liées à l’âge : une prévention très en amont, chez des personnes jeunes, en intervenant sur les mécanismes du vieillissement qui sont véritablement à l’origine de ces pathologies.
Que sait-on aujourd’hui de la biologie du vieillissement ? On connaît de mieux en mieux les mécanismes moléculaires, cellulaires, etc., à la base du vieillissement physiologique. En comprenant ces mécanismes, on peut trouver comment leur altération peut conduire aux maladies.
Vos recherches portent notamment sur la sénescence. De quoi s’agit-il ? La sénescence cellulaire est un processus physiologique de réponse au stress (tabac, UV...) qui engendre un arrêt de la division des cellules, une modification de leurs fonctions et une inflammation qui entraîne une détérioration progressive des tissus où ces cellules sénescentes s’accumulent : foie, peau, cerveau ou encore le sang. Les cellules sénescentes sont toujours vivantes mais ne se divisent plus. On a observé, aussi bien chez l’animal que chez l’homme, que le vieillissement normal est en grande partie causé par l’accumulation de cellules sénescentes. C’est cette accumulation qui détermine en grande partie la manière que nous avons de vieillir.
A quel moment basculte-t-on dans la pathologie ? Lorsque l’accumulation des cellules sénescentes se fait de façon non contrôlée, impactant alors la fonction des organes qui abritent ces cellules. On peut citer l’exemple de pathologies pulmonaires telles la bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) ou des artères, comme l’athérosclérose.
A-t-on sur la base de ces observations, quelques pistes thérapeutiques ? Oui et elles ont toutes le même objectif : prévenir l’apparition des cellules sénescentes ou les éliminer grâce à des agents pharmacologiques dits sénolytiques. Cette nouvelle approche se nomme la sénothérapie. Pour ce qui concerne la prévention, c’est ce que nous faisons au laboratoire en identifiant des molécules qui renforcent nos télomères [lire encadré]. C’est un champ de la recherche médicale extrêmement actif au niveau mondial : l’idée est d’agir en préventif, soit avant l’apparition des maladies liées à l’âge.
Des essais sont-ils en cours ? Il y a des essais chez l’homme, mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions définitives, le vieillissement ne pouvant être quantifié que sur des périodes de plusieurs années. Par contre, de très nombreuses études ont été réalisées chez la souris (dont l’espérance de vie ne dépasse pas ans). On a testé des drogues nouvelles – ou déjà connues – et dotées de propriétés antivieillissement comme la rapamycine [un immunosuppresseur utilisé contre le rejet d’organe, ndlr] ou encore la metformine [un générique prescrit contre le diabète de type , ndlr]. Les expériences ont été très concluantes. Mais la plus spectaculaire a été réalisée chez des souris génétiquement modifiées de façon à ce que chaque fois qu’une cellule sénescente apparaît, elle soit aussitôt forcée à mourir. Ces souris vivent % plus longtemps et en bonne santé !
La sénescence étant un phénomène physiologique, n’est-il pas potentiellement dangereux de la « contrarier » avec des drogues ? La sénescence, ce n’est effectivement pas blanc ou noir ; les cellules sénescentes sont aussi utiles ; elles participent par exemple au phénomène de cicatrisation. Mais dans ce type de situation, elles apparaissent de
façon transitoire. Le problème se pose lorsqu’elles ne sont pas éliminées. Néanmoins, vous avez raison : si on doit un jour utiliser des drogues sénolytiques en thérapeutique, il faudra être attentif à frapper les bonnes cellules au bon moment.
Ayons une vision futuriste : serons-nous tous traités demain dès notre plus jeune âge pour prévenir ce mauvais vieillissement ? Aujourd’hui, on ne sait pas répondre à cette question : faut-il faire de la prévention des maladies du vieillissement chez tout le monde ? Ou seulement chez des personnes à risque ? Ou encore seulement lorsque des premiers symptômes apparaissent ? Et si nous sommes capables de prévenir les cancers et les maladies dégénératives, de quoi mourra-ton ? Toutes ces questions restent ouvertes.