Var-Matin (Grand Toulon)

« Nous pouvons changer une vie »

- Par Thomas Michel

Siyamthand­a Kolisi a grandi les pieds dans la boue et sans-le-sou. Dans l’indignité et l’indifféren­ce. À l’ombre de la ville de Port Elizabeth, dans une Afrique du Sud qui refermait tout juste la porte à l’Apartheid mais maintenait des barreaux à l’entrée des townships, quartiers insalubres réservés aux « nonblancs » et honte du pays. Porté par l’amour des siens et la passion du rugby, Siya finit par se glisser entre les barreaux, trouver sa place sur les bancs de l’école et prendre du galon dans le vestiaire des Western Stormers, jusqu’à devenir un leader de celui des Springboks. Promu capitaine en  d’un XV de la nation arc-en-ciel alors à la dérive, le troisième-ligne devient l’homme de confiance du sélectionn­eur Rassie Erasmus lors de la dernière Coupe du monde. Au terme d’une campagne nippone exemplaire, le flanker et ses compères renvoient le XV de la Rose dans les chardons pour offrir son troisième sacre planétaire à l’Afrique du Sud, après  et . Au pays de Mandela, où les « Blancs » en sont encore à se demander si l’égalité doit passer par l’instaurati­on de quotas en équipe nationale, Siya Kolisi inscrit alors son nom au panthéon de l’histoire du sport, devenant le premier capitaine noir à soulever le trophée Webb Ellis. Un statut de héros qui a notamment valu au gamin du ghetto de Zwide de recevoir le Prix de « Champion de l’année », jeudi dernier à Monaco, des mains du président et fondateur de Peace and Sport, Joël Bouzou, et de son vice-président, Didier Drogba. La paix par le sport, l’histoire de son pays, l’histoire de sa vie.

Vous avez reçu beaucoup de prix ces dernières semaines, celui de Peace and Sport doit être particulie­r tant ces deux mots résument votre vie et l’évolution de votre pays. Absolument. C’est vraiment important d’avoir conscience que le sport peut changer la vie des gens et les sportifs ne doivent pas attendre de quitter les terrains pour s’engager. Il faut qu’ils profitent qu’ils sont actifs et que leurs voix portent. Si nous avons l’occasion de changer une vie, nous devons le faire. Nous parlons un langage que tout le monde comprend. Peu de gens écoutent les politiques par exemple, mais tout le monde regarde du sport. Et le sport a aussi ce pouvoir de faire sourire.

Votre parcours personnel invite à l’espoir pour les jeunes. À quoi votre vie ressemblai­t-elle enfant ? J’ai grandi dans des conditions très difficiles. Nous ne pouvions pas manger tous les jours et ce n’était clairement pas une belle façon de vivre pour un enfant. Mais nos parents nous ont donné l’essentiel : du temps, du soutien et de l’amour.

Comment fait-on pour garder sa fierté et surtout l’espoir dans ces conditions ? J’étais un enfant heureux. Ma grand-mère [sa mère est décédée quand il avait  ans, ndlr] me donnait de l’amour et c’est tout ce dont j’avais besoin pour rester en forme. Avec le sport, qui me donnait de la joie. Aller à l’entraîneme­nt de rugby me procurait un sentiment d’appartenan­ce. Je savais que les gens se souciaient de moi et qu’une fois sur le terrain ils se moquaient des conditions de vie des uns et des autres. Nous étions égaux. J’étais en paix, profondéme­nt heureux. Nous avions aussi une chanson dans l’équipe et quand on commençait à la chanter ça m’aidait à oublier ma colère et le fait que j’étais pauvre. Cette fraternité effaçait tout le reste et j’étais excité d’aller à l’école.

Jusqu’à l’âge de  ans où vous décrochez une bourse pour intégrer la prestigieu­se Grey High School. Un tournant… J’avais tout pour réussir là-bas et j’ai commencé à voir grand, à gagner en confiance. Je pouvais m’imaginer docteur ou rugbyman et je pouvais prendre six repas par jour ! [rire] J’avais des chaussette­s, des chaussures, des sousvêteme­nts, mon propre dentifrice alors que je n’en avais jamais eu. C’était énorme.

Où étiez-vous lors du dernier titre mondial des Springboks, en  ? J’avais  ans et nous n‘avions pas de télévision. J’étais allé dans une taverne où beaucoup de gens s’étaient rassemblés. Je n’ai jamais oublié ce moment, cette sensation quand j’ai vu le bonheur et la fierté que procurait l’équipe aux gens du township.

Aujourd’hui, c’est vous le héros. Pourtant il y a tout juste deux ans vous essuyiez des critiques personnell­es pour être marié à une femme blanche. Preuve qu’il reste beaucoup à faire… C’est comme ça partout dans le monde, pas uniquement en Afrique du Sud. Il me semble que ça s’améliore mais ce genre de critiques me glissent sur le dos. Je ne les écoute pas.

C’est la meilleure réponse à donner au racisme et à l’intoléranc­e ? Je dis toujours qu’il faut comprendre quelqu’un avant de commencer à dire des choses sur lui. C’est la seule manière de résoudre tout ça. Ne jugez pas les gens sur la couleur de leur peau, passez du temps avec eux, comprenez qui ils sont et leurs différence­s culturelle­s. Plus vous comprenez, mieux c’est.

Qu’avez-vous ressenti en défilant avec la coupe dans votre township sur un bus à impérial ?

[grand sourire] C’était incroyable. Au fur et à mesure que le bus avançait, je voyais tous les endroits que je connaissai­s, les immeubles, les magasins, les visages… Ils étaient fiers de notre équipe et de ce que nous avons fait. J’étais si heureux de voir la joie dans leurs yeux. Je ne peux pas exprimer cette émotion avec des mots.

, , … L’Afrique du Sud devra-t-elle à nouveau attendre  ans pour gagner la Coupe du monde ?

Non, nous devons corriger ça, être cohérents. Continuer à bâtir sur cette victoire et ne pas briser cette dynamique.

Quelles images aviez-vous en tête en soulevant la Coupe du monde ?

J’ai vu mon père juste en face de moi, comme je l’avais vu chanter l’hymne national. J’ai vu ma femme, mes enfants, mes amis… et puis j’ai juste crié avec mes coéquipier­s parce que je savais ce que ça signifiait pour nous et l’ensemble du staff.

Monaco a décidé de créer une équipe profession­nelle de rugby à  sous l’impulsion de Frédéric Michalak, est-ce une bonne nouvelle pour le rugby qu’un si petit pays saute le pas avec ambition ? Bien sûr. C’est super. Comme le fait que le rugby soit allé en Asie pour la première fois et qu’il soit aujourd’hui pratiqué partout dans le monde. Je suis très enthousias­te à l’idée que le peuple monégasque puisse faire du rugby. C’est un endroit magnifique et je pense que le reste du monde doit le voir. J’espère qu’ils pourront avoir une équipe et même un tournoi ici, ce serait vraiment magnifique.

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Chanter m’aidait à oublier ma colère et le fait que j’étais pauvre... ”

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D’un township sud-africain à une suite du Monte-Carlo Bay.
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, novembre  (Japon). Yokohama légende. la Kolisi dans
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À Kolisi allait Fin , les Bleus dame contre en test match.

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