Simone Veil : témoignage intime sur la déportation
Dans L’Aube à Birkenau, David Teboul livre les confidences de la Niçoise aux attaches grimaudoises qui raconte l’indicible des camps et l’incompréhension générée à la Libération parmi ses semblables
«Rien ne peut faire penser aux camps. Rien. Cette horreur absolue ne ressemble à rien de ce qu’on peut lire,
de ce qu’on peut écrire », insistait Simone Veil. Et pourtant, un homme, le réalisateur David Teboul, a réussi à gagner sa confiance. Assez pour qu’en dépit de ses refus successifs, la figure niçoise qui repose depuis l’an dernier au Panthéon à Paris, finisse par égrener en sa compagnie la déportation. Le parcours infernal entre Drancy, Birkenau, Bobrek, Gleiwitz, Bergen-Belsen... après être tombée dans les filets de la Gestapo le mars à Nice. Soit treize mois au-delà du réel. Il y eut d’abord le documentaire Simone Veil, une histoire française en . Puis ces jours-ci ce livre, L’Aube
à Birkenau (Les Arènes). Et ces extraits de rencontres régulières entre et , soit heures d’enregistrement d’une voix intime. Un récit impossible à lâcher une fois entamé...
Qu’est-ce qui fait de L’Aube à Birkenau un témoignage à part ?
C’est un témoignage très intime, où Simone Veil parle à la première personne et redevient la jeune Simone Jacob de ans. C’est elle que j’avais en face de moi. Ici, nous ne sommes pas dans le filtre de la réécriture. Tout ce qu’elle relate se situe sur le territoire de ce qui est éprouvé. Et puis, il y a aussi toutes les images de son album de famille sur la Côte d’Azur, les souvenirs enjoués à travers un dialogue avec sa soeur...
Malgré le départ à contrecoeur de ses parents parisiens pour Nice dans les années , la ville gardait-elle une importance particulière pour elle ?
Elle m’a beaucoup parlé de Nice ! Ce sont beaucoup de moments de bonheur et aussi la tragédie de son arrestation en ... Plus tard, elle préféra toutefois avoir un pied-à-terre dans le Var (à Grimaud, Ndlr), car elle n’avait pas envie d’une grande ville pour sa résidence secondaire.
La sentiez-vous hantée ou avait-elle réussi à faire la paix avec cette histoire ?
On ne fait pas la paix avec la Shoah. Elle s’est reconstruite, mais avec le trauma et les fantômes de la déportation.
Au sein même du camp, elle raconte la distinction que faisaient les «déportés résistants» vis-à-vis des « déportés juifs »...
Oui, il y avait de la distinction comme partout ! Les juifs étaient « simplement » déportés parce qu’ils étaient juifs. Il n’y avait aucun engagement de leur part, alors que les résistants étaient « héroïques ». Les résistants n’étaient pas pour autant antisémites, mais ils faisaient effectivement une « distinction ». Quitte à être durs avec les juifs. Imaginez ce que cela pouvait être en plus dans un camp où la barbarie règne en permanence... D’ailleurs l’une des soeurs de Simone, Denise, qui a été déportée en tant que résistante, n’a pas du tout vécu les mêmes choses et interprète différemment les événements. Eux étaient des prisonniers politiques. Ils n’étaient pas exterminés...
L’autre épreuve après la Libération était de ne pas céder au désoeuvrement et au regard des autres qui « empoisonne » son retour, comme le dit Simone Veil. Comment supporter cette seconde peine ?
À la Libération, on avait envie de reconstruire, donc la douleur des déportés n’était pas la priorité. Ce n’est que bien plus tard que l’on s’y est intéressé et qu’il y a eu une prise de conscience. Alors bien sûr, après tout ce qu’ils avaient vécu, c’était une peine dure à supporter comme l’explique Simone Veil. Mais elle était une femme réservée qui avait de la distance sur la façon dont les hommes avaient traité d’autres hommes.
Lorsqu’elle dit « dès , je suis devenue absolument sans illusions », est-ce un constat d’échec ?
Non, c’est juste un constat... Elle avait perdu ses illusions dans les camps et se gardait depuis d’un optimisme trompeur.
Parlait-elle aussi d’une autre douleur qui fut la perte de son deuxième fils, Claude-Nicolas, en ?
Non et je ne l’ai jamais interrogé à ce sujet.
À travers les différents postes de responsabilités exercés, que considérait-elle comme le grand oeuvre de sa vie ?
Sa participation à la reconnaissance des Justes par l’État français, la mémoire de la Shoah, l’amélioration de la détention des femmes, puis bien sûr la condition féminine et la loi sur l’avortement. Elle était sensible aux avancées et à l’égalité des droits.
Trouvez-vous un point commun entre Simone Veil et Brigitte Bardot que vous avez aussi approché pour un documentaire ?
Aucun ! Ce sont deux femmes totalement opposées. Pour Bardot, je me suis intéressé à la construction du personnage, sa mélancolie. Elle est avant tout, pour moi, une héroïne de fiction.
Allez-vous encore faire partager vos conversations avec Simone Veil ?
Oui, à travers un nouveau documentaire. Outre les heures d’enregistrement, j’ai aussi beaucoup d’images non exploitées. Mais c’est pour plus tard. Pour l’instant c’est ce livre – intime et profond – qui est important. Car il est aussi là pour comprendre l’époque.