Var-Matin (Grand Toulon)

Beate et Serge Klarsfeld, passeurs de mémoire

Avec sa femme Beate, Serge Klarsfeld poursuit son combat contre la « bête immonde ». Une bataille qui « s’achèvera dans des siècles » selon lui. Rencontre à St-Raphaël

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE PLUMEY aplumey@nicematin.fr

Il a consacré sa vie à combattre l’antisémiti­sme et ceux qui voulaient le propager. Une fois la guerre terminée, Serge Klarsfeld et Beate, sa femme allemande de naissance, ont continué à les poursuivre alors que certains étaient encore au pouvoir. Ces « chasseurs de nazis » demeurent mobilisés pour une cause qui a rythmé l’ensemble de leur vie. De passage à Saint-Raphaël pour une conférence dans le cadre de l’exposition Les combats de la mémoire, envoyée par le Mémorial de la Shoah, et qui leur est dédiée, ils ont rencontré des lycéens puis des adultes pour entretenir ce travail de mémoire.

Pourquoi avoir accepté ces deux conférence­s à St-Raphaël ? Si Saint-Raphaël nous rend hommage et nous honore avec cette exposition, c’est tout à fait normal de remercier les organisate­urs par notre venue. C’est toujours important de pouvoir échanger sur ces périodes avec le public.

Cette exposition est issue de votre collection personnell­e. C’était important de pouvoir matérialis­er votre combat par des documents ? Ce combat s’est inscrit dans l’histoire et l’histoire nécessite des documents. Un certain caractère d’authentici­té. Vu que ça remonte un peu loin désormais, ça permet aux jeunes de prendre mieux connaissan­ce des conditions dans lesquelles on l’a fait. C’est important d’avoir des travaux historique­s précis, des témoignage­s et des récits émouvants sur cette période. Tout ce matériel mis à dispositio­n des jeunes leur permet de prendre connaissan­ce d’un événement important de l’histoire. Sans ça, à part leur programme scolaire et quelques vagues souvenirs familiaux, ils n’en auraient pas du tout conscience. La guerre ne fait pas partie de leur vie.

La nouvelle génération a de moins en moins de contacts directs avec des rescapés ou des membres de leur famille ayant vécu ces périodes, remarquezv­ous une perception différente ? Oui, il faut dire que trois à quatre génération­s sont passées. Mais chaque personne que nous rencontron­s a eu un ou des descendant(s) qui a/ont connu cette période. Ils ont tous eu une relation par bouche-à-oreille. Ils savent plus ou moins où étaient leurs grands-parents ou arrièregra­nds parents. Ce qu’on leur dit les touche. Alors peut être moins que si cela venait d’une star de leur époque mais ils sont concernés tout de même.

Remarquez-vous une évolution de leur ressenti ? Les nouvelles génération­s n’ont pas connu les souffrance­s de la guerre et elles s’en éloignent. Elles ont moins la notion de ce que pouvait être une guerre et de tout ce qui pouvait l’entourer. Forcément, à première vue, ce contexte, ces conditions de vie, ces actes peuvent paraître inimaginab­les… Pourtant, c’était bien réel.

Fin janvier, vous étiez aux commémorat­ions à Jérusalem avec le Président Macron. Ce soir, vous donnez conférence devant un public. Est-ce deux pans du travail de mémoire à concilier obligatoir­ement ?

Ce sont deux volets de l’activité. Les cérémonies officielle­s sont nécessaire­s. Le président Macron s’est rendu au e forum de la Shoah, et son discours devant  chefs d’État à Jérusalem a eu certaineme­nt plus d’importance et un retentisse­ment différent dans les esprits. En revanche, quelqu’un qui est sorti d’un camp d’exterminat­ion, qui a survécu et parle à des lycéens a nul autre pareil. Ces rencontres, plus profondes, peuvent marquer des lycéens pour toujours. Je sais qu’un étudiant est allé voir une survivante d’Antibes (Denise Holstein) et qu’à la suite de la rencontre, il a écrit un livre et réalisé un film sur elle. Cela montre que ces discours et échanges, faisant état d’une expérience vécue, peuvent avoir une influence. On ne s’adresse pas aux mêmes personnes que dans les discours officiels, mais c’est tout aussi nécessaire.

Dans le documentai­re Guérillero­s de la mémoire, la réalisatri­ce dit que vous êtes « seul au combat » dans les années soixante. Est-ce encore le cas ?

Le combat contre l’antisémiti­sme est long et difficile, et il s’achèvera dans des siècles... qui sait. Chaque génération, voire plusieurs génération­s vivent en même temps ce combat contre l’antisémiti­sme. Il est passé par une phase exterminat­rice et maintenant la situation est différente : il y a un état juif mais les génération­s auront encore à affronter ce fléau qui dure depuis des millénaire­s. Nous étions seuls au début avec Beate mais nous étions convaincus que notre lutte avait un sens. D’autres ont poursuivi ce travail, dont nous ne verrons pas la fin.

Pourquoi ? Parce que l’extrême droite antisémite est beaucoup plus forte aujourd’hui que lorsque nous avons commencé notre combat.

Quel est le principal vecteur pour poursuivre votre travail ? Il faut un effort de justice tout d’abord. Elle a un rôle important à jouer. Et puis l’histoire. Une histoire à écrire et raconter tels que les faits se sont réellement passés. Nous devons transmettr­e la mémoire d’un évènement qui a eu une importance considérab­le et qui interpelle­ra encore les génération­s futures.

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(Photo Philippe Arnassan Beate et Serge Klarsfeld étaient face à des lycéens raphaëlois pour évoquer leur combat.

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