Var-Matin (Grand Toulon)

Le sacrifice du Dr Li

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Dans l’anonymat d’une mégalopole de onze millions d’âmes, Li Wenliang était jusqu’au  décembre un jeune médecin comme les autres, heureux papa d’un petit garçon de cinq ans. Depuis hier et l’annonce de son décès sur le réseau social Weibo, il est devenu le nouveau héros du peuple chinois. Trente ans après l’image de l’étudiant tentant d’arrêter les chars place Tiananmen, le Dr Li pourrait bien à son tour devenir le symbole de cette Chine qui résiste à l’oppression. Accusé dans un premier temps par les autorités d’avoir répandu des rumeurs infondées, arrêté avec sept de ses collègues et menacé de poursuites par le régime, Li Wenliang est le premier à avoir révélé l’existence d’un nouveau virus présentant des symptômes comparable­s à ceux du Sras. Il en est mort la nuit dernière dans une chambre d’hôpital de Wuhan. Dans tout le pays, la nouvelle de sa disparitio­n s’est répandue comme une traînée de poudre, déclenchan­t sur les réseaux sociaux un torrent de réactions indignées, de critiques et d’appels à la démission de cadres du Parti communiste chinois. Avisé et courageux, le Dr Li avait osé parler et alerter. Un double crime dans un pays où l’unique voix tolérée est celle du Parti. « Si les responsabl­es avaient diffusé les informatio­ns sur l’épidémie plus tôt, cela ne se serait pas passé de cette manière. Il faut davantage de transparen­ce », avait estimé le médecin qui avait régulièrem­ent donné de ses nouvelles après avoir été lui-même contaminé. « Une fois guéri, je veux retourner sur le front. L’épidémie se répand toujours, et je ne veux pas être un déserteur », assurait-il ces derniers jours. Le virus -nCoV en a décidé autrement. Au-delà des bougies sur les réseaux sociaux et des messages de condoléanc­es, la mort du Dr Li a provoqué un élan inédit en Chine. Relayé deux millions de fois sur Weibo, le hashtag Je veux la liberté d’expression a rapidement été censuré. « On peut tout réprimer, mais pas le chagrin », a écrit un internaute, résumant l’état d’esprit de millions d’habitants qui saluent aujourd’hui le Dr Li, « ce héros qui a donné l’alerte au prix de sa vie ». Comme toujours en Chine, le vent de révolte ne devrait pas souffler bien longtemps. Dès mercredi, l’administra­tion a renforcé la surveillan­ce des réseaux sociaux. En République populaire de Chine, seule la liberté n’est pas contagieus­e.

« Au-delà des bougies et des messages sur les réseaux sociaux, sa mort a entraîné un élan inédit en Chine. »

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de DENIS CARREAUX Directeur des rédactions du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

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