Les cépages font de la résistance
L’image est saisissante. D’un côté, de belles vignes généreuses décorées de longues feuilles vertes ; de l’autre, des rangées de sarments secs et tristes comme un jour d’hiver sans fin. « Toutes ces vignes ont pourtant été plantées le même jour », à en croire Pierre Audemard, gérant du domaine de la Giscle à Cogolin, rencontré en novembre dernier. Si certaines de ces vignes affichent une bien meilleure mine, c’est grâce aux particularités de leur cépage. Du muscaris en l’occurrence. « C’est un cépage blanc résistant qui a été planté au mois d’avril dernier », assure le viticulteur varois, pas peu fier de sa trouvaille. « Regardez, comme la vigne est belle, comparée à celle d’en face, où l’on voit bien que le mildiou a bouffé toutes les feuilles. »
Satané champignon
Le mildiou, c’est ce satané champignon qui s’attaque aux pieds de vigne, la bête noire qui hante le sommeil de tous les producteurs de vin. Il en existe une autre : l’oïdium, une maladie qui affecte elle aussi les cultures fruitières et potagères. Lorsque le champignon se propage dans la plante, les feuilles ont tendance à se courber, à se nécroser et finissent généralement par tomber. Comme l’explique Anne-Sophie Miclot, ingénieure à l’Inra de Bordeaux, en charge de l’Observatoire national de déploiement des cépages résistants, ces derniers « peuvent contribuer à diminuer fortement l’utilisation de produits phytosanitaires » dans les vignes. « C’est en tout cas l’une des solutions qui existe aujourd’hui », précise-t-elle. Si Pierre Audemard a décidé de planter ses premières vignes de muscaris au printemps dernier, c’est d’abord, dit-il, parce qu’il en avait « marre de devoir traiter tout le temps ». « On perd notre temps, ça coûte cher et on sait que les produits ne sont pas très sains pour la terre. Et même pour les cultures bio, poursuit-il, dès qu’il pleut au moins 20 mm, il faut toujours repasser derrière pour traiter à nouveau… » Aujourd’hui, ce vigneron de père en fils semble conquis par les cépages résistants. « C’est l’avenir d’une bonne partie des vignobles varois », prophétise-t-il, tout en inspectant une autre parcelle sur laquelle il a planté du souvignier gris. Là aussi, les premiers résultats ont l’air «encourageants ». La jeune vigne se porte comme un charme.
« Peps et fraîcheur »
Pour ce type de variété, en général deux traitements par an suffisent. « Le premier, c’est un produit systémique qui protège la plante de l’intérieur, détaille Pierre Audemard. Pour le second, on utilise juste un peu de cuivre (de la bouillie bordelaise) .» Le vigneron cogolinois en est persuadé : « Ces cépages qui résistent naturellement aux maladies, c’est encore mieux que le bio ». Même financièrement, il assure vite s’y retrouver. « Sur les autres parcelles (de chardonnay et merlot), on traite dix fois par an, à raison de 60 euros l’hectare pour se protéger du mildiou et de l’oïdium, calcule-t-il. Là, les plants de vignes résistants ont beau être deux fois plus chers à l’achat, puisque la demande n’est pas encore importante, la différence est quand même vite faite. » Et puis, ils ont aussi la particularité, souligne-t-il, « d’offrir une acidité élevée qui donne du peps et de la fraîcheur au vin ». Pour l’heure, Pierre Audemard recense l’équivalent d’un hectare de cépages résistants. Quatre mois après la plantation des vignes, les premières grappes de raisin sont apparues. « Dans deux ans, c’est bon, on produit », s’impatiente-t-il. L’objectif étant « d’utiliser bientôt 15 % de ces cépages » dans sa production. En attendant, le Centre du rosé, basé à Vidauban, est en train de mettre en place «un observatoire varois pour conseiller au mieux les producteurs avec les retours d’expérience de chacun ».