Var-Matin (Grand Toulon)

Jean-Louis Trintignan­t : « Désespéré, mais pas triste »

Puisqu’à son âge, « rien n’est très grave », l’acteur-réalisateu­r retrouve la scène pour un projet qu’il prédit « à ch… ou sublime ». Rencontre à Antibes avec l’acteur qui vit entre Uzès et Hyères

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Sa parole est rare. Le timbre de sa voix, la précision de sa diction, la liberté de son expression font de toutes ses interventi­ons autant de moments d’envoûtemen­t. C’était encore le cas lundi soir, à Antibes, lors d’un hommage à son ami Pierre Vaneck, disparu en 2010. En présence de Sophie Vaneck, Françoise Arnoul et Marie-Christine Barrault. Jean-Louis Trintignan­t a côtoyé Vaneck et Arditi longtemps, avec une grande affection. Près de cinq cents représenta­tions les ont réunis, à l’affiche de la pièce culte de Yasmina Reza, Art. Pour sa part, Daniel Benoin, avant de diriger le théâtre Anthéa, avait mis en scène Pierre Vaneck dans son ultime spectacle, L’Argent des autres. Ami de longue date de Trintignan­t, Benoin l’accueille régulièrem­ent à Antibes, comme il doit le faire à l’automne. Avant cela, une date supplément­aire est à l’étude le mois prochain, prélude aux six représenta­tions que l’acteur de 89 ans doit donner au théâtre de la Porte Saint-Martin, à Paris, du 24 au 29 mars.

Vous êtes ici pour Pierre Vaneck. Craignez-vous qu’on l’oublie ? Pierre, c’est quelqu’un que l’on n’oublie pas. Qui, au contraire, vous force à vous souvenir. Il était très pudique, il y a des tas de choses qu’il ne disait pas, mais très amical. C’est juste qu’il avait toujours peur de gêner.

N’est-ce pas un peu vous ? Je suis un peu comme ça, oui. En moins bien. Pierre était un collègue. Et vous connaissez la définition d’un collègue ? C’est quelqu’un qui fait le même métier que vous, mais un peu moins bien. Avec Vaneck, ce n’était pas vrai. Il ne faisait pas moins bien que moi, mais aussi bien, sinon mieux. Moi, j’ai toujours été assez mauvais. Avec, très occasionne­llement, la possibilit­é de tutoyer le sublime.

Y a-t-il quoi que ce soit dont vous soyez vraiment fier ? Je m’apprête à faire un spectacle très risqué. Un spectacle qui peut être vraiment à chier, ou sublime. Dans lequel je dirai beaucoup de poèmes. Et des textes d’Allain Leprest qui a écrit, paraît-il, deux mille chansons. Je suis en train d’en lire mille ! Pour en choisir quelques-unes seulement : ça fera vingt minutes de scène, c’est tout.

Vous-même en avez écrit un… Oui, un seul. Je vous le dis car vous l’avez peut-être oublié : – Elle avait du chien, mais moi j’aimais son chat – Je lui donnais le choix entre son chien et moi, elle a choisi son chien – Et j’ai perdu son chat C’est pas terrible, hein ? Je l’ai dit quelquefoi­s en public, ça a été… pas un échec, mais enfin…

Pourquoi cette tendance à toujours vous diminuer ? Parce que j’ai plus de respect, franchemen­t, pour quelqu’un qui ramasse les poubelles et le fait très, très bien, que je n’en ai pour moimême. Je fais un métier facile et bien payé. C’est d’ailleurs ce qui m’a décidé. Au début, je voulais être berger. M’occuper d’animaux. Mais on m’a dit que j’allais gagner une misère. J’avais un copain qui s’appelait Laurent Terzieff et qui avait la même idée, alors on s’était décidé à faire du cinoche en se promettant que, dès qu’on aurait assez d’argent, on arrêterait pour s’acheter un troupeau. L’argent est arrivé, mais quand on a eu ce qu’il fallait, eh bien, on n’a rien fait, on a continué le cinéma. Nous avons peut-être manqué de courage.

Du courage, sur scène, il en faut ? C’est vrai qu’il en faut, du courage, pour monter sur scène. Mais je le fais parce qu’à mon âge, je me dis que, finalement, rien n’est très grave. Je prépare un nouveau spectacle que je vais même venir jouer ici, à Antibes. Si je fais un énorme bide, ce n’est pas dramatique, je ne risque plus grand-chose.

Vous avez dit avoir fait parfois du cinéma par cupidité. Vrai ? Ce qui est marrant, c’est que Michael Haneke a été vraiment idolâtré, puis conspué pour son dernier film, Happy End. Alors qu’il n’a rien commis de méchant. On peut trouver que ce n’est pas bien, mais tout de même, il me semble que tout le film a une tenue, et même une certaine grâce.

Pourriez-vous rempiler ? Après avoir tant dit que vous arrêtiez ? Ah ! oui ? Alors je devrais peut-être le faire… En fait, ça dépend un peu du succès ou de l’insuccès du spectacle. Si ce n’est pas réussi, je crois qu’il faudra que j’arrête. Mais ce n’est pas très important ni très grave. Il y en a tellement qui arrivent et qui sont bien, qui sont même mieux que moi.

Une Happy End, ce serait quoi ? Je ne sais pas. Franchemen­t. Mais je crois encore que ça peut marcher. L’idée de ce spectacle est tellement originale, le ton aussi, que ça peut être réussi comme ça peut être raté complèteme­nt.

Quel répit vous laisse la maladie ? Laquelle ? Le diabète ? Le cancer ? Oh, vous savez, pour  % d’entre nous, on a tous un cancer. Mais quand on est vieux, ça n’est pas la maladie la plus grave. Elle évolue très doucement, je ne prends même pas de traitement.

Qu’est-ce qui est grave, quand on est vieux ?

Ce qui est grave, quand on est vieux, c’est l’indécence. Par exemple, vouloir occuper une place que l’on ne mérite plus. Ce n’est pas normal de vivre jusqu’à cent ans. Moi, je suis très modeste sur ce plan-là.

Et Les Plus Belles Années d’une vie ? Avez-vous tourné ce film avec douleur ou dans la joie ? Ce film, je l’ai fait un peu en traînant les pieds. Mais je me rends compte que Lelouch, quand même, ce n’est pas n’importe qui. Comme je n’ai plus très envie de tourner, il a fait Les Plus Belles Années d’une vie en sept jours. Sept jours ! Tout le film ! Ça, c’est un record. Je l’ai raconté à Haneke, il m’a dit : c’est formidable. Et quand, un peu avant, j’avais demandé à Lelouch de me citer ses metteurs en scène préférés, il m’a répondu : avant tout, Haneke. Mais il n’était peut-être pas sincère ? Je crois qu’il a dit ça pour me faire plaisir.

Ce film, l’avez-vous vu ? Si oui, comment vous trouvez-vous ? Oui, oui. Je l’ai vu. Disons que pour un mec qui traîne les pieds, j’ai trouvé ça plutôt réussi. Mais c’est le talent de Lelouch. En fait, c’est un peu réussi et un peu manqué à la fois. Comme toujours avec lui.

Il y a aussi ces retrouvail­les… Avec Anouk Aimée ? Anouk a fait ce film sans vouloir comprendre du tout. Elle ne savait pas son texte. Mais elle est merveilleu­se. Anouk, il ne faut pas y toucher, elle a une grande pureté. Elle fait partie de cette génération où les femmes, quand elles étaient jolies, il fallait qu’elles soient un peu idiotes. Alors elle continue à faire un peu l’idiote, mais elle n’est pas idiote du tout !

Donc, ça valait le coup ? Oui, et je trouve qu’on a le droit de tourner avec Haneke et Lelouch. Ils sont complèteme­nt différents. Lelouch est inculte mais il a des qualités formidable­s. Son optimisme, d’abord. Qui en fait un gros menteur. S’il pleut au moment de tourner, il jure qu’il fait beau. Et tout le monde finit par le croire !

Savez-vous que l’optimisme, c’est  % d’espérance de vie en plus ? C’est sûrement vrai. Mon deuxième petit-fils, Paul, le fils de François Cluzet qui, à ce momentlà, était le mari de ma fille Marie… ah non, ils n’étaient pas mariés, je crois… Marie a eu quatre enfants avec quatre papas différents… En tout cas, Paul, qui est poète, voyage beaucoup, et pas bêtement. Il fait du stop, apprend la vie. En tout cas, il me dit que les progrès ont toujours été accomplis par des gens optimistes, jamais par des gens comme moi. Et il a raison. C’est vrai que je ne suis pas un optimiste. Pas tellement. Mais bon, je suis d’un pessimisme acceptable. Je suis désespéré, mais pas triste. Mes petits-enfants, justement, sont merveilleu­x et je les adore. Eh bien, quand on a ça, on n’a pas tout raté. Oui, ça vaut la peine de vivre. Et si ça s’arrête, je n’aurai pas de quoi me plaindre.

‘‘ À mon âge, rien n’est très grave”

‘‘ Oui, ça vaut la peine de vivre”

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(Photo F.L.)

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