Var-Matin (Grand Toulon)

« Tout ce que je veux, c’est qu’on oublie mon fauteuil » Témoignage

Il n’éprouve aucune colère. Ni contre le handicap, ni contre la vie. Il veut simplement avoir une vie normale. Et pour lui, cela passe par un travail en milieu ordinaire. Naturellem­ent

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Thomas ne pourra pas bénéficier des dernières avancées thérapeuti­ques dans le domaine de la SMA (amyotrophi­e spinale proximale liée au gène SMN1) (lire interview ci-dessous). Mais, il veut garder espoir. La prochaine fois, ce sera peut-être son tour. Son optimisme contredit les certitudes de ceux qui le croisent et envisagent le handicap comme un obstacle infranchis­sable sur le chemin du bonheur. Le sourire de Thomas raconte que oui, même cloué à un fauteuil, on peut être épanoui, enthousias­te, curieux… Heureux, tout simplement. Salarié au sein d’une grande entreprise azuréenne, le jeune Niçois se réjouit chaque matin de retrouver son poste de conseiller clientèle. Des heures passées au téléphone, à répondre à des demandes, à apaiser des tensions, sans se départir de son grand sourire franc. Thomas n’a jamais vécu debout. Ou presque. Quelques minutes seulement par jour lorsqu’il était encore un enfant. Né à Nice le 28 février 1990, il va rapidement manifester un retard de développem­ent qui inquiète ses parents. « Je n’arrivais pas à m’asseoir tout seul, ni à me lever. Ils ont “su” lorsque j’avais 18 mois. »

L’envie d’aller le plus loin possible

Ce qu’ils ont su, c’est que leur fils était atteint d’une maladie rare, une amyotrophi­e spinale. «Detype2, précise Thomas. Le type 1 est plus grave, moi ça va, j’arrive à rester assis. » Quelques mots que l’on reçoit comme une claque, même si telle n’était pas leur intention. Thomas est lourdement handicapé, son autonomie très réduite. Il doit être assisté pour tous les gestes de la vie : manger, boire, se laver, s’habiller… Mais il n’oublie pas que d’autres ont un handicap encore plus lourd que le sien. En lui, aucune colère, ni sentiment d’injustice, juste l’envie d’aller le plus loin possible, de s’investir dans la vie de la cité et de faire progresser la situation des personnes handicapée­s (il se présente à cette fin aux prochaines municipale­s sur une liste d’opposition). Dans l’emploi, notamment. « Je voudrais que les personnes handicapée­s qui travaillen­t conservent au moins une partie de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) ; on a beaucoup de frais, non pris en charge… » Si, aujourd’hui, le jeune homme a de grandes ambitions, il en convient, il ne s’est pas donné les meilleures chances au départ : « Je n’aimais pas l’école. Le collège, ça allait encore, j’avais des copains, je rigolais. Mais, après la troisième… Je suis resté deux mois en seconde générale et j’ai arrêté ! Je n’avais pas de projet. » Pas de projets encore, mais des rêves qu’il nous confie sans ciller : « Même si je savais que c’était impossible, je rêvais à l’époque d’être tennisman. Ou footballeu­r. J’adore le sport, et je continue de beaucoup le regarder à la télé. Et d’assister autant que possible à des tournois de tennis et des matchs. » Et anticipant notre question, il poursuit : « Je n’ai jamais ressenti de frustratio­n. Je ne peux pas, tant pis, ce n’est pas grave, je regarde… » Si Thomas a accepté cette maladie qui le cloue dans un fauteuil, il n’a pas perdu l’espoir de voir ses déficits sinon s’améliorer, au moins cesser de progresser. « J’ai participé, adolescent, à un essai clinique qui a été abandonné en cours de route. Au début, j’y croyais, et lorsqu’on m’a dit : “Ça ne marche pas”, j’ai pensé qu’ils allaient trouver quelque chose d’autre… » Thomas garde-t-il espoir ? Réponse en demi-teinte. «Les médicament­s qui sont aujourd’hui développés sont destinés à ralentir l’évolution, pas à stopper la maladie. Il y a 10 ou 20 ans, lorsque j’aurais encore pu en tirer bénéfice, ces traitement­s n’existaient pas. Aujourd’hui, ils n’auraient aucun effet sur moi : j’ai atteint l’âge adulte, ma maladie s’est stabilisée. Si un jour j’arrive à récupérer un peu grâce à de nouveaux médicament­s, tant mieux. Mais si je reste comme ça, c’est pas si mal. »

« Je ne peux pas rester tout seul »

«Sijereste comme ça, c’est pas si mal... »

En attendant, tout ce que souhaite Thomas, c’est mener une vie « normale ». Une évidence pour ce jeune homme qui, finalement, ne se sent pas différent des autres. « J’ai toujours été dans des écoles classiques, je n’ai jamais fréquenté d’associatio­n, ni même des personnes touchées comme moi par un handicap… Pour moi, l’inclusion ne justifie pas de mobilisati­on, elle devrait se faire naturellem­ent. » Illustrant ces propos, il confie : « Lorsque j’ai répondu à l’offre d’emploi pour le poste que j’occupe, je n’ai pas indiqué que j’étais handicapé. Moi, tout ce que je veux, c’est qu’on oublie mon fauteuil… Bien sûr, au travail, je suis confronté à certaines difficulté­s. Mais je suis aidé par des collègues. Et je ne travaille pas moins que les autres… Je suis un bon commercial ! »

Présente de façon quasi permanente auprès de lui, sa maman affiche le même sourire. Ces deux-là sont doués pour la vie, cela ne fait pas de doute. S’ils l’abordent du bout des lèvres, on sait pourtant leur quotidien très pénible. « Ma mère est ma tierce personne, mon aide humaine ; elle a cessé de travailler pour être auprès de moi. Je ne peux pas rester tout seul, j’ai besoin d’aide pour tout. » Et, dans un sourire, Thomas admet qu’il lui en demande beaucoup : « Elle est obligée de m’accompagne­r pour toutes mes sorties : match de football, distributi­on de tracts, réunions politiques et même à l’Assemblée nationale à Paris… Elle n’a pas le choix, elle est obligée de me suivre ! » Pas de malice dans ses propos, juste l’aveu d’un désir effréné de vivre, qu’il ne peut contenir. « Et elle seule sait me porter. Ce qu’elle a dû faire plusieurs fois par jour lorsque nous habitions encore dans un immeuble sans ascenseur, au coeur du VieuxNice. » Chaque jour, sa maman l’accompagne en tramway jusqu’à son lieu de travail. Chaque midi, elle revient sur les lieux pour l’aider à manger, et pour tout le reste… Et même chemin le soir pour venir le chercher. Des contrainte­s masquées par son sourire généreux. Le même que Thomas. Des sourires qui éloignent tout apitoiemen­t et ne demandent en retour que des sourires… tout aussi généreux.

 ?? (Photo Franz Bouton) ?? « L’inclusion devrait se faire naturellem­ent », selon Thomas, ici à son poste de travail.
(Photo Franz Bouton) « L’inclusion devrait se faire naturellem­ent », selon Thomas, ici à son poste de travail.

Newspapers in French

Newspapers from France