Var-Matin (Grand Toulon)

La solitude du soignant face au psycho-trauma

Le profession­nel de santé qui recueille les récits de victimes peut aussi souffrir. Il n’est pas imperméabl­e aux blessures psychiques, qu’il doit soigner pour mieux soigner l’autre

- AXELLE TRUQUET

«Diresa souffrance est légitime, même lorsqu’on a choisi d’être là »

Serge Lesourd

Professeur de psychopath­ologie clinique

La prise en charge du psycho-trauma est indispensa­ble pour permettre aux victimes d’aller mieux. Mais qu’en est-il du soignant ? Comment « digère »-t-il toutes les histoires qu’il accueille au cours de ses consultati­ons ? L’accumulati­on de confession­s, de récits parfois très brutaux dans le secret du cabinet n’a-t-elle pas un impact sur celui qui les écoute ? Les profession­nels de santé ont évoqué cette problémati­que lors d’une Journée départemen­tale des CUMP (Cellules d’urgence médico-psychologi­que) (1). L’occasion pour eux d’échanger librement sur un sujet complexe, souvent passé sous silence par pudeur ou par crainte du jugement. Serge Lesourd, professeur de psychopath­ologie clinique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis évoque ainsi la solitude du soignant face à la douleur. « J’ai en tête l’image des jours qui ont suivi l’attentat de Nice : de ce 15 juillet, de ce 16 juillet... où j’ai vu tous ces profession­nels de santé sortir fumer leur cigarette sur le trottoir entre deux consultati­ons en étant incapables de parler entre eux. » Au plus près des victimes dans les premières heures, ils ont été marqués, de différente­s manières et à différents degrés. Sans s’en rendre forcément compte. « Il y a une opposition fondamenta­le entre la victime et le soignant. L’un doit être l’objet de l’attention de l’autre. Ce devoir de secours impose au soignant de mettre de côté tout ce qu’il ressent, de gommer toute dimension affective pour être tout entier dévoué à son métier. Il y a donc quelque chose qui vient renforcer l’idée que le soignant n’a pas le droit d’aller mal. » Qu’il n’a même aucune légitimité à cela. « Il n’a pas cette légitimité que confère le statut de victime : ce n’est pas lui qui vit la souffrance. Il y a une incompatib­ilité logique et morale entre la position de victime et de soignant. On ne peut être les deux à la fois. C’est la raison pour laquelle ce dernier est dans une grande solitude face à sa propre souffrance. »

Le soignant a choisi d’être là, pas la victime

Ce sentiment d’isolement est souvent aggravé par les barrières que lui-même érige, en s’interdisan­t de parler de sa souffrance, notamment avec des collègues. Parce que, pense-til, ils risqueraie­nt de lui opposer une incapacité à exercer. Or, il ne veut pas basculer dans la position de patient. «La parole est pourtant fondamenta­le, rappelle Serge Lesourd, avant d’insister : « La souffrance est légitime même lorsqu’on a choisi d’être là, sur les lieux, en tant que soignant.. » Il s’agit donc de changer de prisme. « Trente ans de carrière ne mettent pas à l’abri. Ce n’est pas l’expérience qui va faire que l’on va s’en sortir. C’est le fait de pouvoir échanger, d’analyser ce qu’il se passe : c’est bien le dialogue qui va nous permettre de dépasser notre propre souffrance pour mieux reprendre notre tâche au service des autres. » Cela ne veut pas dire qu’il faudra fermer le bureau, parfois une bonne discussion suffit. La verbalisat­ion est toujours salutaire. On oublie trop souvent que le psy, le médecin, l’infirmière... restent avant tout des êtres humains, en proie, eux aussi, à la souffrance. Qu’il leur est donc légitime de dire qu’ils vont mal, pour mieux se soigner et reprendre leur tâche. Au bénéfice des autres.

1. Le 28 novembre, la Journée départemen­tale des CUMP était consacrée à la thématique du personnel soignant à l’épreuve du psychotrau­ma.

 ?? (Photo d’illustrati­on Unsplash) ?? Beaucoup de soignants, qui sont là pour prendre en charge la souffrance des patients, ont du mal à dire la leur et à se faire aider.
(Photo d’illustrati­on Unsplash) Beaucoup de soignants, qui sont là pour prendre en charge la souffrance des patients, ont du mal à dire la leur et à se faire aider.
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