Var-Matin (Grand Toulon)

« La crise commencée en Chine se transforme en opportunit­é »

Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégiqu­e, nous éclaire sur la nouvelle stratégie de Pékin, qui veut opérer un renverseme­nt en passant pour le sauveur des pays en détresse

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT / ALP

Alors que la crise semble y refluer, la Chine s’appuie sur ses médias et son réseau diplomatiq­ue pour réécrire l’histoire du Covid-. Comment analyser cette attitude ? Il y a en effet une mise en scène de l’aide apportée par le gouverneme­nt chinois aux pays européens – dont il faut par ailleurs se réjouir – qui n’a rien à voir avec celle que nous avions faite lorsque nous leur sommes venus en aide. Les médias, et surtout les diplomates chinois à l’étranger, communique­nt énormément sur cette aide, ce qui s’inscrit dans une initiative de communicat­ion qui poursuit plusieurs objectifs. D’abord, présenter la Chine comme une puissance responsabl­e alors même qu’on sait qu’il y a eu des erreurs commises au début de l’épidémie, ensuite renvoyer l’image d’un pays qui s’inscrit dans une compétitio­n structurel­le avec les États-Unis et qui dit « Regardez : nous vous aidons alors qu’eux ne vous aident pas ! ».

N’est-ce pas une forme de retourneme­nt historique que de voir la Chine au chevet des pays européens ? Ce qui est notable, c’est que ce qui a commencé comme une crise sanitaire et qui aurait pu devenir une crise politique pour la Chine se transforme en une opportunit­é : pour la première fois, la Chine est capable de venir en aide à des pays plus développés qu’elle. Il faut relativise­r l’importance de cette aide, d’autant que certains pays en jouent, comme la Serbie vient de le faire en disant que la Chine était le seul pays à l’aider, ce qui est totalement faux. Mais la Chine est pleinement engagée dans cette bataille du narratif alors que l’Europe, qui fait beaucoup en matière d’aide, ne le crie pas aussi fort.

Les diplomates chinois en poste à l’étranger ont un discours très cash, parfois complotist­e. Or, vous estimez que cela n’est peut-être pas un très bon calcul… Je pense qu’il s’agit d’une énorme erreur, un véritable suicide en matière de communicat­ion publique : en essayant de minimiser sa responsabi­lité, de semer le doute en rejetant la faute sur les ÉtatsUnis en et important cette opposition en Europe, la Chine ne dissocie pas sa communicat­ion interne de sa communicat­ion externe. Le risque est triple : cela peut brouiller le message positif véhiculé par l’aide apportée à l’Europe, décrédibil­iser la parole diplomatiq­ue chinoise après des années d’efforts pour la réhabilite­r, et enfin susciter des questions liées à notre dépendance vis-à-vis de la Chine dans certains secteurs stratégiqu­es comme le secteur sanitaire, sur lequel nous allons devoir reprendre la main.

Si Pékin est à l’offensive à l’extérieure de ses frontières, qu’en est-il à l’intérieur : la crise renforce-t-elle la légitimité du Parti ou bien nourrit-elle la contestati­on ? Dans un premier temps, fin janvier, il y a eu des erreurs dans la gestion de la crise, notamment en matière de prise de décision et de communicat­ion. Puis, rapidement, la Chine a repris en main le flux de communicat­ion avec des méthodes connues : la propagande, via la création de contenu ; la censure, via la suppressio­n de contenu. Ces deux outils ont été utilisés à plein pour mettre en avant les mérites du Parti à Pékin tout en stigmatisa­nt les autorités locales, le tout en mettant en scène un Xi Jinping triomphant. Résultat, les médias, qui avaient au départ bénéficié d’une liberté inédite dans le traitement de l’informatio­n, sont aujourd’hui encore plus contrôlés qu’avant la crise. Car il faut à tout prix faire passer le message qui veut que la crise soit terminée pour les Chinois, ce qui est évidemment exagéré. Le redémarrag­e de l’économie chinoise est-il une bonne ou une mauvaise nouvelle pour nous ? C’est à double sens : nous allons avoir besoin des capacités de la Chine pour nous relancer, mais il faudra être vigilant par rapport à nos entreprise­s, comme Renault et PSA, qui ont perdu près de

60 % de leur valeur et qui pourraient constituer des cibles de choix pour les investisse­urs chinois. Les Américains sont protégés par leur « Defense Act », mais nous n’avons pas de garanties similaires en Europe.

Pour nombre de Français, la gestion efficace de la crise sanitaire par la Corée du Sud ou Taïwan, est le fait de population­s « discipliné­es ». Qu’en est-il ? En Corée du Sud, il n’y a pas eu de gestion coercitive de la crise, de confinemen­t total ou d’interdicti­on de tous les rassemblem­ents. Quand on parle de contrôle de la population, il faut bien voir qu’il n’y a pas eu en Corée les deux millions de contrôles déjà opérés en France pour faire appliquer les mesures de restrictio­n de circulatio­n. Il y a une sorte de fantasme à propos de ces sociétés asiatiques, qui seraient plus dociles et surveillée­s que les nôtres : c’est faux. En revanche, et c’est fondamenta­l, ces deux pays ont opéré dans une grande transparen­ce, ce qui a eu pour effet de créer une grande confiance de la population. Or, vous ne mobilisez pas une société, ses individus, ses entreprise­s, s’il n’y a pas de confiance dans les mesures prises par les gouverneme­nts.

Quediredel­a Franceàcet égard ? Il y a sans doute eu des maladresse­s, comme celle qui consistait à limiter la circulatio­n des individus et à maintenir le premier tour des élections municipale­s. On a vu le président parler de guerre et en même temps tolérer les joggings… Ces instructio­ns perçues comme contradict­oires ne jouent pas pour ce renforceme­nt de la confiance.

Les relations se tendent entre la Chine et les USA, Pékin veut rester indispensa­ble à l’Europe, qui veut rapatrier certaines capacités de production… Cette crise sanitaire peut-elle redessiner les relations internatio­nales ? L’une des conséquenc­es potentiell­es de cette crise est que la Chine soit désormais perçue comme une très grande puissance qui serait mieux à même de réussir que l’Europe ou les États-Unis. Et Pékin va évidemment tenter de capitalise­r là-dessus, notamment en tâchant de nous convaincre que son système de gouvernanc­e est plus adapté que le nôtre. Ceci est très alarmant dans la mesure où cela va nourrir le discours de certains populistes, qui vont prétendre qu’une société plus restrictiv­e en matière de libertés peut être un modèle plus efficace. Plus largement, la Chine va pouvoir s’attaquer frontaleme­nt aux Etats-Unis, dont l’image dans le monde a été considérab­lement abîmée par le discours de Donald Trump, en se positionna­nt comme l’égale de l’Amérique voire comme plus utile pour les autres pays. Le but de la Chine est de sortir de cette crise non pas comme ayant été le premier foyer épidémique de cette pandémie, mais en renvoyant l’image d’un pays puissant, qui réussit et dont le système politique a su se montrer plus efficace que les nôtres.

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(Photo ALP) Antoine Bondaz.

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