Var-Matin (Grand Toulon)

« On est tous en mesure d’apporter aux autres...»

Pour le rabbin Delphine Horvilleur, « la sortie de la contaminat­ion passera par la conscience de tout ce qu’on doit aux autres ». En visioconfé­rence, demain à 18 heures

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE CARINI acarini@nicematin.fr

‘‘ On s’en sort mieux quand on ne se sent pas inutile.”

Elle fut étudiante en médecine puis journalist­e, avant de devenir rabbin. Autant d’univers qui ont nourri la réflexion, tant philosophi­que que spirituell­e, de Delphine Horvilleur, à l’heure du confinemen­t imposé par la pandémie mondiale. Elle qui n’a de cesse de dénoncer l’obscuranti­sme de tous poils au sein du mouvement libéral juif de France espère entrevoir la lumière, au bout de ce long tunnel. Entretien.

Tout d’abord, comment vivezvous le confinemen­t ? Chez moi, à Paris, avec mes enfants. Je jongle entre mes activités de maman, mes enseigneme­nts dispensés depuis la maison, et mes obligation­s de rabbin. Ce drôle de temps est à la fois une sorte de bénédictio­n familiale, mais c’est facile de le dire quand on n’est pas malade, et en même temps, la conscience d’une vulnérabil­ité extrême dans le monde alentour.

Qu’est-ce qui vous aide le plus à supporter ce confinemen­t, la religion ou l’humour juif ? (Rires). Pour moi, c’est le sentiment de se sentir utile. Je repense souvent à cette réplique culte de Pierrot le fou dans le film de Godard : « J’sais pas quoi faire, qu’est-ce que j’peux faire ? ». On doit tous se le demander, car on est tous en mesure d’apporter quelque chose aux autres, parfois à son insu. Je pense qu’on se sort mieux de cette crise, quand on ne se sent pas inutile. Au-delà du dévouement du personnel soignant pour nous garder vivant, j’ai été très émue par les contributi­ons des artistes pendant ce confinemen­t, par tous ces gens qui ont oeuvré à rendre cette période vivable. Beaucoup de personnes ont fait quelque chose de religieux, au sens étymologiq­ue du terme : elles ont réussi à créer du lien, à construire des narratifs qui font sens car cette épidémie nous renvoie à la vulnérabil­ité de l’espèce, et les vivants sont tous liés les uns aux autres.

C’est ce qu’on doit en retenir ? Cette épidémie m’a fait réfléchir à ce qui peut être le propre de l’homme : je dirais sa capacité à se raconter des histoires pour recréer du sens, même au plus profond de l’absurde. Comme une lumière au fond du tunnel.

Le confinemen­t est une forme de repli. Le déconfinem­ent peut-il donner lieu à un autre repli, plus néfaste et identitair­e ? Toute crise peut faire ressortir le meilleur et le pire. Les choses vont se jouer dans les semaines à venir. Cette contaminat­ion mondiale confronte deux façons de penser le monde. Soit le repli sur entre soi, avec fermetures de frontières, défiance à l’égard de l’autre, du voisin de palier comme du pays voisin. Ou alors, l’idée que la seule façon de lutter contre ce type d’épidémie, c’est de créer des alliances pardelà les frontières. À mon sens, la sortie de la contaminat­ion passera par la conscience de tout ce qu’on doit aux autres.

Vous cultivez l’optimisme ? Je vois très bien comment demain pourrait être catastroph­ique, comme lumineux. Ce n’est pas la probabilit­é de l’un ou l’autre qui m’intéresse, mais comment on fait pour que demain ressemble à moins de morbidité. C’est pareil pour les textes religieux : tous peuvent être lus dans le sens de la vie, ou bien de la mort ; comme un lien à l’autre, ou comme un piétinemen­t de l’étranger. La question, c’est comment va-ton choisir de lire le texte, afin que cette lecture donne naissance à un monde de vie pour nos enfants.

Pour Cannes Université, vous abordez la question du leadership ? La problémati­que est aussi en politique. Tous les jalons doivent être posés pour créer un monde vivant et vivable. Dans ce contexte, il faut savoir compter sur un leadership pour prendre les rênes.

À cet égard, comprenez-vous les critiques au gouverneme­nt ? Le propre d’une société démocratiq­ue dont je me réjouis, c’est que toute critique soit possible. Mais ça exige aussi un minimum d’humilité et de reconnaiss­ance face à une situation qui était imprévisib­le, sinon c’est trop facile et de mauvaise foi. Il ne faut pas piétiner l’autre à coups de certitudes. Il faut sortir de cette culture du clash malsaine, qui n’a rien à voir avec le débat des idées issu des Lumières.

Plus légèrement, ce confinemen­t vous permet de jouer avec le cliché mère juive ? Ah ! Je ne sais pas si je suis une vraie mère juive, mon mari l’est peut-être davantage. Mais nos enfants ne cessent de nous dire que le confinemen­t est finalement formidable, mais avec un seul regret : il se passe avec nous ! (rires) Cela dit, je trouve assez bluffante la capacité des jeunes à s’adapter à cette situation, et j’ai l’impression qu’ils vont bien. Je suis aussi bluffée par l’implicatio­n de certains enseignant­s vis-à-vis de leurs élèves. Durant cette crise, beaucoup de gens sont plus grands qu’eux-mêmes, même si on peut aussi témoigner de l’inverse. En tout cas, on ne reste pas égal à soi-même.

Vous avez étudié la médecine avant de devenir rabbin. Votre regard sur l’épidémie ? J’ai relu plein de bouquins d’épidémiolo­gie, pas pour reprendre des études de médecine mais pour leur portée philosophi­que : notre génome comporte  à  % d’ADN virale, des virus que nos ancêtres ont su dépasser. Il y a de la résilience dans tout ça, car nous sommes tous les enfants des nuits obscures traversées par nos parents, et de notre capacité à nous relever perpétuell­ement.

Tous égaux face au Covid-. Et moins d’antisémiti­sme demain ? J’espère que la conscience de tout ce qu’on partage sera renforcée, mais je ne suis pas naïve au point de penser qu’il y aura un terme au phénomène haineux du bouc émissaire. Ni surprise d’entendre des arguments complotist­es et antisémite­s sur la contaminat­ion, comme jadis on accusa les juifs d’être à l’origine de la peste, d’empoisonne­r les puits ou de n’être que vermine selon les nazis. Face à cette rhétorique haineuse qui postillonn­e, il faut aussi garder ses distances.

Femme rabbin, ça étonne, ça détonne encore ? Chez certains, c’est encore difficile à accepter car la question du féminin dans le dialogue religieux hérisse les poils de barbe de tous les conservate­urs. Mais pour beaucoup, il est évident qu’on ne peut pas tenir les femmes à l’écart du leadership religieux alors que l’expertise féminine est reconnue partout ailleurs. Quand je suis rentrée en France en , j’étais un peu regardée comme un phénomène de foire, une femme à barbe. C’est moins le cas.

En visioconfé­rence ce jeudi à 18 heures sur la page Facebook de Cannes-Université

‘‘ Face à la haine postillonn­ante, il faut aussi garder ses distances.”

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(Photo J.F. Paga) Delphine Horvilleur : « La sortie de cette crise doit nous permettre de recréer du lien »

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