Léa Simone Allegria Est-ce qu’on peut fabriquer un peintre ?”
Un bon bol d’art pur
Après Le Grand
Art ,onne regardera plus jamais un chef-d’oeuvre du même oeil. Une plongée passionnante dans ce marché un peu fou.
Un commissaire-priseur qui tombe sous le charme étrange d’un vieux retable au fond d’une chapelle toscane. Une jeune experte qui part enquêter sur les traces du peintre anonyme. Aurait-on redécouvert un maître oublié de la Renaissance ? Une simple madone sur un panneau de bois pourra-t-elle séduire le public quand les héros des ventes d’aujourd’hui sont ceux qui font s’autodétruire une oeuvre en pleines enchères ? Et tout autour, les dessous passionnants du monde de l’art. De l’agitation des salles des ventes au silence des couloirs de musées. De Paris à Florence. À trente-deux ans, Léa Simone Allegria publie, avec Le Grand Art ,unsecond roman réussi, servi par une plume intelligente et drôle. Comme pour Loin du corps (paru aux éditions du Seuil en 2017), dans lequel elle mêlait le monde de la mode à l’histoire de l’art, la romancière imagine une intrigue dans un milieu qu’elle connaît bien. Ancienne élève de l’École du Louvre et de La Sorbonne section lettres modernes, Léa Simone Allegria s’occupe aujourd’hui d’une galerie d’art en ligne (The Curators) après avoir été mannequin pour de grandes marques. Dans Le Grand Art, en s’appuyant sur une solide documentation, elle a construit une histoire, presque un polar, autour de questions qu’elle se posait étudiante. « Je trouvais ça étonnant qu’on m’enseigne des choses dont je ne pouvais pas m’assurer. Je ne prenais jamais pour argent comptant ce qu’on me racontait ! Ce qu’on m’a appris à l’école a stimulé mon imaginaire et m’a fait me dire : “Et si ce n’était pas tel artiste qui avait créé telle oeuvre ?’’ Quand on sait que 10 % des oeuvres d’art dans les musées sont fausses, on peut inventer tout un tas d’histoires autour », explique, au téléphone, celle qui vit habituellement à Paris, depuis la maison de son grand-père en Corse, où elle est confinée en famille.
Authenticité, cote, subjectivité
Et de la question de l’authenticité, découle également celle de la valeur de l’oeuvre. « L’authenticité fait partie de la cote, mais cette question est récente. À la Renaissance, on se fichait pas mal de savoir qui avait peint quoi, c’est venu avec la figure de l’artiste. Elle a grandi, grandi, et fini par prendre toute la place. Maintenant, l’authenticité d’un gribouillis signé Picasso a bien plus de valeur qu’une oeuvre superbe anonyme, au fond d’une chapelle toscane par exemple. C’est la starification des peintres, des artistes en général, qui fait monter une cote », se passionne Léa Simone Allegria. « Si tout ce que je savais sur une oeuvre, par exemple dans la grande galerie du Louvre, était complètement faux… Si c’était le cas, ce tableau serait-il moins admirable ? ,interroge-t-elle. Serait-il moins coté, moins connu, si on connaissait la vérité ? Est-ce qu’on peut fabriquer un peintre ? Ou en faire renaître ? » Et qu’en est-il alors, de l’émotion ? De la subjectivité ? Dans ce roman, qui raconte aussi l’envers du décor du marché de l’art, on se demande parfois ce qu’est devenu le goût des oeuvres à notre époque. « Pourquoi on aime une oeuvre, ça m’intéresse beaucoup ! Ça dépend de chacun, du moment où on voit l’oeuvre aussi. Si elle résonne en nous, c’est qu’elle dit quelque chose de nous, c’est un peu ce que j’ai voulu montrer avec mon commissaire-priseur. Il y croit à ce tableau, il a une épiphanie quand il le découvre. Il l’aime vraiment, ce n’est pas qu’une question d’argent ou de coup. » Et quel coup !