L’Amérique de Trump comme miroir
Ils sont peu à pouvoir se vanter d’avoir le talent de David Simon. Ancien gratte-papier du Baltimore Sun, Simon est devenu le showrunner le plus talentueux de sa génération. Son CV ? The Wire, Treme, The Deuce ou encore The Corner. Alors quand la fabrique à succès HBO décide d’adapter le génial roman de Philip Roth, The Plot Against America, Simon embarque. Comme dans le très brillant The Man In The High Castle, la série disponible sur OCS est une uchronie. On se plonge dans l’Amérique de 1940 en partant du postulat que le célèbre aviateur Charles Lindbergh, aux idées antisémites, accède à la Maison Blanche à la place de Franklin D. Roosevelt et fait basculer le pays dans le fascisme porté par la promesse de ne pas faire rentrer les États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale. Le mandat fictif de Lindbergh, sympathisant du régime nazi dans la vraie vie, est raconté à travers une famille juive du New
Jersey, les Levin. Simon, qui se base sur l’oeuvre du célèbre écrivain Philip Roth, va explorer la manière dont chaque membre de cette famille va réagir face à l’arrivée sournoise mais inéluctable de la barbarie, qu’elle soit psychologique ou physique. Il y a Herman, le père courage qui ne veut rien céder ; Bess, la mère, qui est prête à l’exil au Canada. Et puis les deux enfants, Sandy, l’aîné, qui a fait de Lindbergh son héros d’enfance et Philip, le petit dernier, en admiration devant Evelyn, la soeur aînée de Bess, qui s’amourache d’un rabbin qui va vite devenir la caution juive de Lindbergh. Il est difficile de ne pas voir dans cette minisérie une critique de l’Amérique de Trump car les parallèles sont nombreux : isolationnisme, autoritarisme, discrimination des étrangers et patriotisme exacerbé où le suprémacisme actuel prend le rôle de l’antisémitisme passé. Il n’est pas question d’un pays qui bascule, du jour au lendemain, dans la barbarie. Non, au contraire. C’est vicieux. Lent. Insidieux. À force d’infimes infléchissements, les USA de 1940 deviennent une soeur jumelle de l’Allemagne de 1933. D’abord dans l’esprit puis par la force de la loi. C’est aussi une critique du cadre familial à travers ses tensions dans le couple mais aussi dans l’éducation. Plus le monde qui les entoure est secoué, plus les Levin explosent. Les interrogations intimes sont portées au public dans une réalisation simple, sublimée par l’oeil des deux réalisateurs de la série, Minkie Spiro et Thomas Schlamme.
Les conséquences de l’autoritarisme sur une famille
La force du programme réside dans sa capacité à faire porter le mal par des visages humains, à commencer par le couple Winona Ryder-John Turturro. En choisissant, inconsciemment ou non, l’aveuglement à la lutte, le couple prend la place du diable. La facilité aurait été de permettre aux vrais tyrans de l’époque – Lindbergh, Henry Ford, l’industriel ouvertement antisémite, les nazis ou le Ku Klux Klan – d’incarner ce mal absolu mais la série a pris le parti de rarement les représenter. Comme si leur mal était invisible et omniprésent. Dans son oeuvre initiale, Roth réimaginait son enfance dans le New Jersey des années 1940 en se contentant du point de vue d’un gamin de neuf ans. Là, Simon s’attarde aux conséquences de l’autoritarisme sur un noyau familial pourtant solide avec une question existentielle : cela n’arrive-t-il que chez les autres ? Si la série est si efficace, au-delà de son esthétisme léché, c’est par la qualité de son casting. Winona Ryder confirme son retour fracassant commencé avec Stranger Things mais elle est parfaitement entourée, y compris dans le casting des enfants qui, des fils Levin au petit Seldon, est un sans-faute. On est face à une mini-série dure, qui dérange et questionne à la fois. D’aucuns ont même parlé de série de l’année. Sur certains aspects, The Plot Against America peut facilement s’imposer comme la série événement d’une année 2020 forcément particulière...