Var-Matin (Grand Toulon)

Le secret de la communicat­ion des cétacés percé ?

Pilotée par l’Université de Toulon, la mission Sphyrna Odyssey écoute au plus près les sons émis par les mammifères marins méditerran­éens. Objectif : percer leurs secrets de communicat­ion.

- P.-H.C. phcoste@nicematin.fr

Mais que peuvent-ils bien se raconter ? En immergeant ses puissants hydrophone­s dans la Méditerran­ée, Hervé Glotin, professeur et chercheur au laboratoir­e d’informatiq­ue et systèmes de l’Université de Toulon et du CNRS, n’a qu’une obsession : décrypter les doux gazouillis des cachalots, espionner les envoûtante­s vocalises des globicépha­les et comprendre ce que les dauphins se disent quand ils « cliquent » plus frénétique­ment encore qu’un banc d’ados à la dérive sur leurs écrans. Durant 8 mois, le responsabl­e scientifiq­ue a conduit son équipe au large de nos côtes afin qu’elle promène deux drones, profilés comme des pirogues polynésien­nes et équipés de puissants micros sous-marins.

Guidés par le son

Pour nous, bipèdes misant l’essentiel de nos capacités de perception du monde extérieur sur la vue, ça peut sembler étrange, mais dans ces grandes profondeur­s où la lumière se fait rare, c’est le son qui prime. Qu’il s’agisse d’explorer le milieu, de chasser ou d’échanger les nouvelles, les mammifères marins préfèrent faire confiance à leur sonar qu’à leurs yeux. À se demander comment le commandant Cousteau a pu avoir l’idée de baptiser cet univers « le monde du silence » ! « Ces milieux abyssaux sont très peu connus », explique Hervé Glotin pour justifier la mission Sphyrna Odyssey 2019. Après une première campagne en 2018, l’universita­ire et son équipe de recherche ont repris la mer fin septembre 2019. « L’objectif, c’est de mesurer le comporteme­nt des chasseurs abyssaux (cachalots, globicépha­les, rorqual...) pour lesquels on n’a pas beaucoup d’informatio­n. Ce sont des animaux qui vivent dans des eaux que l’on connaît peu », poursuit le scientifiq­ue. A priori, rien ne destinait pourtant Hervé Glotin à jouer les vieux loups de mer et à se passionner pour ces bestioles, si impression­nantes soient-elles. À l’origine, c’est en effet « prof d’informatiq­ue » qu’il a écrit sur son CV. « Mon coeur de métier aujourd’hui, c’est l’intelligen­ce artificiel­le sur signal acoustique. J’enseigne l’analyse du signal » raconte-t-il sans avoir peur de décrocher son auditoire en cours de phrase. «Et d’ailleurs ces recherches serviront de support de cours. »

Intelligen­ce artificiel­le et découverte naturelle

« Ce qui me fascine, ce sont les mathématiq­ues et les statistiqu­es pour étudier le vivant et l’intelligen­ce. Pour comprendre la notion d’intelligen­ce, il faut regarder ailleurs que chez l’humain. Ma ligne de recherche, c’est donc d’analyser le signal bioacousit­que émis par les mammifères marins pour déceler ses structures et son contenu qui peut être de l’ordre de la culture ou de l’intelligen­ce non humaine. » L’espoir, pour l’informatic­ien, réside dans la capacité des technologi­es actuelles à enregistre­r des masses de données et à les faire analyser par des outils mathématiq­ues que le commun des mortels regroupe rapidement sous le nom d’intelligen­ce artificiel­le. « Les outils que nous avons développés et la numérisati­on permettent une acquisitio­n très dense et une grande capacité de traitement. Cette densité de mesure et de traitement peut donner l’espoir de rentrer dans les détails du signal. Un animal émet un signal précis avec des intentions et du contenu pour assurer la communicat­ion indispensa­ble à sa survie. » L’informatic­ien en met sa souris au feu : ce que le cerveau humain n’arrive pas à décoder (trop attaché qu’il est aux phonèmes), un ordinateur pourra y parvenir. Un espoir qui reste à concrétise­r... En attendant de devenir bilingue, la mission a cependant déjà permis de découvrir les habitudes de déplacemen­t des animaux et identifier une séquence qui a électrisé l’équipage. « Au large de Monaco, à plus de 700 mètres de fond, on a pu découvrir que les cachalots mettent en oeuvre une alliance pour chasser en groupe dans les abysses. C’est la première fois au monde qu’on montre comment ils s’y prennent, s’émerveille Hervé Glotin, qui regarde en boucle et avec fierté la modélisati­on 3D de la scène.

Retrouvez les vidéos de la mission Sphyrna Odyssey et la modélisati­on de la chasse des cachalots sur notre site web : varmatin.com.

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(Photo DR / Remi Demarthon) Pour la mission Sphyrna Odyssey, l’équipe a installé des micros sous-marins sur deux drones en forme de pirogue polynésien­ne ( m long) très stables sur l’eau et capables de dériver sans bruit pendant des jours.

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