Le metoo de l’antiracisme
Pourquoi lui ? Pourquoi George Floyd ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette mort, le meurtre d’un inconnu par un policier qui ne l’était pas moins, a-t-elle soulevé une vague d’indignation mondiale, un metoo antiraciste planétaire, alors que les Etats-Unis ont connu tant de drames semblables ? Mystérieuse alchimie des mouvements d’opinion. Le poids de l’image, sans doute. L’implacable dramaturgie de cette agonie filmée en direct. Insupportable. Interminable. minutes qui feront le tour des réseaux sociaux à la vitesse du Net. La terrible symbolique de cette scène. Le policier blanc au-dessus, l’homme noir en dessous, face contre terre. I can’t breathe ! Je ne peux pas respirer. Les mots mêmes d’Eric Garner, étranglé par un policier new-yorkais en juillet . Des mots devenus slogan de la lutte contre les brutalités policières et les discriminations raciales. Les errements de la justice américaine qui met plusieurs jours à prononcer le mot « meurtre ». Trop tard. Il faut compter aussi avec la puissance d’amplification des chaînes d’info, happées par un événement inédit, spectaculaire, échappatoire bienvenue, après trois mois de focalisation exclusive sur la crise du coronavirus. Sans négliger, bien sûr, la conjoncture politique. L’affaire Floyd, à l’aube de la campagne présidentielle US, a rassemblé au-delà du parti démocrate l’ensemble du camp dit libéral : en somme, tous ceux qui étouffent sous la présidence Trump. En France, elle a fourni à la gauche radicale un nouveau levier de mobilisation contre le macronisme et les « violences policières ». La collision avec l’affaire Traoré servant de pont entre les Etats-unis et la France, de trait d’union entre « gilets jaunes », colère noire et rage antisystème. Mais la vague qui a parcouru la planète n’aurait pas eu une telle ampleur si elle ne révélait des choses plus profondes, qui ont trait à la condition noire, au « ressenti » des minorités « de couleur » ; à la persistance de stéréotypes raciaux (logement, emploi, relations avec la police) d’autant plus douloureusement vécus qu’ils sont volontiers minimisés, ou niés, par des sociétés qui aimeraient tellement se croire débarrassées du racisme. Il y a là un écheveau de sentiments complexes, d’impensés, de préjugés exprimés ou refoulés, de bonne et mauvaise consciences, qui ne sont pas étrangers à la manière dont les « blancs » aussi se sont sentis concernés par la mort de George Floyd. C’est tout cela que recouvre le mot d’ordre Black Lives Matter. Manifeste repris par des manifestants du monde entier. De Bristol à Budapest en passant par Rome, Madrid, Bruxelles, Dortmund. Et, bien sûr, Paris et tant d’autres villes françaises. Comme tout fleuve, celui-ci ne charrie pas que des jolies choses et des bons sentiments. Il comporte son lot de scories : d’actes laids et de propos sales. Des scènes d’émeute et de pillage, des tabassages. A Londres, la statue de Churchill vandalisée. En France, les surenchères « indigénistes » de groupes dont la représentativité est inversement proportionnelle à leur violence verbale. Des people en surjeu. Des amalgames absurdes entre police française et police américaine. Des slogans toxiques – on pense au détestable « tout le monde déteste la police », que tous les sondages démentent. Mais par son ampleur, et justement parce qu’il brasse gens de tous âges et de toutes couleurs, le courant de lui-même a noyé ses excès. Ce qui en reste et surnage tient en peu de mots : un désir de fraternité. Irénisme ? Par les temps qui courent, singulièrement dans ce pays si doué pour creuser ses plaies, on aurait tort de cracher dessus.