Var-Matin (Grand Toulon)

Juliette Gréco m’a regardé comme un être beau”

- LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr PHOTO LUC BOUTRIA

Heureux qui comme Malik a trouvé sa voie. Ni prêcheur ni donneur de leçon, l’écrivain-slammeur arpente, le verbe serein, les abords du théâtre de plein air après des répétition­s qui mettaient fin, ce lundi, à cinq mois d’inactivité publique. Invité à clore la 36e édition du Festival de Ramatuelle (lire notre dernière page), avant un retour le 5 décembre à Toulon toujours avec son spectacle Le Jeune Noir à l’épée, l’homme de Gibraltar, rappelle, au temps où tant de festivals ont succombé, combien « un peuple sans art ne peut pas exister ».

Ce spectacle est-il un autre moyen de rendre la « littératur­e sexy » dans le monde autocentré des réseaux sociaux ? Oui mais sans critiquer la technologi­e. Les réseaux sociaux, le téléphone, etc., ce sont des outils et non pas une finalité en soi. Mon mantra de vie, c’est comment préserver le patrimoine tout en cultivant la modernité. Comment mettre, comme ce soir, Baudelaire en lien avec le rap... Travailler à cultiver cet esprit merveilleu­x qu’est le génie français.

Y a-t-il pour vous un livre à mettre en main à chaque âge ou certains sont-ils universels quel que soit le bagage du lecteur ? Le choix est vaste, mais la figure fondamenta­le pour moi – même si je n’oublie pas Aimé Césaire –, c’est Albert Camus, sur lequel j’ai beaucoup écrit [Camus, l’art de la révolte, ressort en Poche à la rentrée en édition augmentée, ndlr] .Onpeutlire L’Étranger, La Peste après la période que nous venons de vivre, mais aussi sa philosophi­e, ses Carnets... Donc à tout âge. Moi, il m’accompagne depuis tout jeune. Si l’on vit une crise ici et en Europe, avant la crise économique ou sanitaire, c’est celle de manque de référents et de modèles.

Une dame non loin en est aussi un ? Oui. Émotionnel­lement Ramatuelle est très fort pour moi, car c’est l’endroit où résident Juliette Gréco et feu Gérard Jouannest à qui j’avais rendu hommage ici sur scène après treize ans d’amitié. Êtes-vous attristé de ne plus pouvoir écrire pour Juliette Gréco que l’on sait très faible ? (il opine de la tête) Oui, le temps fait son oeuvre, mais elle est toujours là... Je me rends d’ailleurs chez elle demain [hier mardi, ndlr]. On parlait de symboles... Juliette fait partie des figures autour desquelles on peut se rassembler. C’est ma marraine dans le métier. Elle ne m’a pas pris comme rappeur, mais comme artiste. Elle a travaillé avec Sartre, Vian, Brel, Gainsbourg, etc. et m’a dit “Tu es tout à fait légitime par rapport à eux. Ce qui compte c’est la poésie”. Vous imaginez l’importance que cela revêt pour moi. Quand des êtres comme elle nous regarde, on finit par croire que l’on est beau symbolique­ment, et on agit en conséquenc­e.

Comment avez-vous intégré son époux pianiste, Gérard Jouannest, pourtant disparu en , au Jeune Noir à l’épée ? Nous avions ce grand projet secret de faire un album uniquement tous les deux piano-voix. Nous avions commencé et j’avais donc des maquettes de titres. Le livrealbum raconte comment quelqu’un, qui me ressemble, chemine du ghetto à la rencontre de l’universel. Gérard fait partie de ces figures qui ont participé à ce que je rencontre l’universel. Il sera toujours là. Utiliser ses mélodies dans ce projet, contribuai­t aussi à rendre hommage à l’un des plus grands compositeu­rs français.

En septembre vous allez porter la voix de Mulhousien­s qui racontent leur confinemen­t. Est-ce faire oeuvre de salubrité publique ? Je ne le dirais pas comme cela. On a tous été touchés, mais voilà des gens d’une région qui a souffert particuliè­rement, et il se trouve que c’est la mienne. Je suis Alsacien ! Se raconter c’est se réappropri­er son destin et pouvoir se relever. Comme de me produire à Ramatuelle, c’est un acte profond de résistance. “Un grand « Oui » à la vie”, dirait Camus.

Comment fait le passeur pour ne pas se laisser enfermer dans une Mecque intellectu­elle et garder l’aura de la rue ? C’est simple, il faut rester soi ! Je viens de la rue. Ma démarche est de toujours représente­r les miens. Le “peuple de la périphérie”. Tous ceux qu’on met de côté. Les “différents”... Et de dire qu’importe, nous sommes “un” et complément­aires. On ne doit pas laisser une couleur de peau ou un milieu socio-culturel nous définir. Je continue de travailler à rester un homme pont, une passerelle. D’où l’impossibil­ité d’une récupérati­on quelle qu’elle soit.

Quelle est la prochaine étape ? Je ne fais pas de plan, pour rester en phase avec l’époque, les gens... Mais évidemment si nous avons fait le volume  du Jeune Noir à l’épée, cela laisse présager d’un volume ... Je travaille sur un nouvel ouvrage, un album, du théâtre musical... Tout cela n’étant que des médiums pour raconter une autre Histoire de France. Qui ne laisse aucun(e) citoyen.ne sur le côté.

Se raconter pour se réappropri­er son destin”

Pas de trace de votre conjointe chanteuse Wallen sur scène... Elle voulait venir, voir Juliette... mais impossible. Nous venons d’accueillir notre e enfant. Elle a un mois. C’est tout frais moulu. Elle s’appelle Aliyah !

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