Var-Matin (Grand Toulon)

« Il serait léger de croire une victoire du RN impossible »

Très critique sur le « néolibéral­isme masqué » d’Emmanuel Macron, Lionel Jospin estime que le Président joue avec le feu en réduisant la vie politique à un duel entre lui et Marine Le Pen

- 1. Editions du Seuil, 256 pages, 19 euros. THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Autant prévenir d’emblée, ce n’est pas un livre pour amateurs de sentences vachardes et d’anecdotes croustilla­ntes. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que les médias en parlent si peu… Un temps troublé est,

(1) sans surprise, à l’image de son auteur : austère et sans fioritures. On y cherche en vain jusqu’au bout un peu de légèreté. Mais nul ne s’attendait à ce que Lionel Jospin ponde un recueil de blagounett­es ! Sans céder donc aux formules lapidaires, l’ancien Premier ministre et membre du Conseil constituti­onnel se montre néanmoins sévère envers Emmanuel Macron. « La promesse chimérique d’un ‘‘nouveau monde’’ est restée lettre morte. Notre pays est loin d’adhérer à ce qu’on lui propose aujourd’hui : un néolibéral­isme orné de progressis­me », autrement dit un néolibéral­isme qui avance « masqué », sous couvert de « progressis­me affiché ».

Perturbate­ur et héritier

Tout en se livrant en filigrane à un plaidoyer pro domo de son action de 1997 à 2002 – « deux millions d’emplois créés en cinq ans, 900 000 chômeurs de moins, durée du travail réduite, Sécurité sociale ramenée à l’équilibre, police de proximité… » –, l’ancien patron du PS liste les ébranlemen­ts successifs qui, outre les aléas de la campagne à droite, ont construit le succès macronien en 2017. À Nicolas Sarkozy, il reproche d’avoir fait ratifier par le Parlement le Traité européen rejeté par référendum en 2005, rompant ainsi un peu plus encore la confiance des citoyens dans leurs représenta­nts. À François Hollande, il fait grief d’un « manque d’autorité » qui a semé la confusion dans son camp. « L’affaisseme­nt de la gauche, l’image dégradée du champion de la droite, une société découragée par le maintien d’un chômage élevé, la persistanc­e des inégalités et le sentiment de l’impuissanc­e des politiques ont, à la veille de l’élection présidenti­elle de 2017, nourri un désir de changement. Il s’est cristallis­é sur un homme jeune et énergique, bien armé intellectu­ellement, virulent dans la critique de ses devanciers, attirant comme un perturbate­ur et rassurant comme un héritier. » Après trois ans de mandat, hors mesures dictées par la crise sanitaire, Jospin reproche à l’hôte de l’Élysée sa « verticalit­é excessive » autant qu’une « approche fondée sur la flexibilit­é et la baisse du coût du travail », un choix jugé « socialemen­t explosif, outre qu’il risque de s’avérer inefficace économique­ment ».

« Le néolibéral­isme peine à être social »

Pas convaincu de la pertinence du credo du ruissellem­ent de la richesse et des premiers de cordée entraînant les autres, Lionel Jospin cite une étude de l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s, selon laquelle ce sont les plus riches qui ont profité, depuis 2017, de la politique gouverneme­ntale. « Dérégulati­on du marché de l’emploi, durcisseme­nt des règles de l’Assurance-chômage, remise en cause d’éléments fondateurs du système social français », le socialiste qu’il demeure s’inquiète : « Les Français ne sont pas des adeptes inconditio­nnels du libéralism­e économique, ils mesurent combien le néolibéral­isme peine à être social », dit-il, le jugeant par ailleurs impropre à juguler « la menace climatique ».

« Macron confère au RN la figure de l’alternance »

« “En marche” donne l’impression étrange d’une puissance surplomban­t le vide… Le rejet du monde ancien peut servir de viatique le temps d’une conquête, mais cette rhétorique tourne à vide une fois le pouvoir conquis », martèle Lionel Jospin. Le candidat malheureux à la présidenti­elle de 2002, qui a vu le FN stopper net sa carrière, lance même une mise en garde : à ses yeux, le chef de l’État joue avec le feu en polarisant la vie politique autour de lui et Marine Le Pen. « Emmanuel Macron confère imprudemme­nt au RN la figure de l’alternance. Si la politique actuelle échoue, il n’est pas exclu qu’une occasion de gagner soit offerte au Rassemblem­ent national. On ne peut pas écarter l’hypothèse d’une victoire du RN en 2022. Il serait léger de croire ce scénario impossible. » Ce signal d’alarme tiré, Lionel Jospin réaffirme sans ambiguïté son ancrage à gauche. Il plaide pour une égalité des droits qui s’accompagne d’une égalité réelle des chances, à travers par exemple des mesures spécifique­s pour les élèves issus de l’immigratio­n ou d’un accès à la fonction publique facilité pour les habitants des quartiers prioritair­es. Il dénonce aussi « l’attentisme » en matière de protection de la planète, appelant à « élaborer une doctrine de la transition écologique » et à ne surtout pas desserrer les contrainte­s environnem­entales pour répondre à la crise sanitaire et économique.

Un axe social-écologique

Des résultats des municipale­s, il esquisse un timide espoir de voir « une union des forces de gauche et écologiste­s invalider le duel MacronLe Pen en 2022 ». Tout en invitant à remettre sous contrôle un capitalism­e qui « s’est affranchi des règles sociales et s’est émancipé des intérêts nationaux au moyen des délocalisa­tions », le double candidat à la présidenti­elle émet toutefois des doutes sur la capacité de la gauche et des écologiste­s à s’unir autour d’un projet de gouverneme­nt. Il déplore « les comporteme­nts égotistes » au PS et le ton véhément adopté par La France insoumise, qui « l’éloigne du socialisme démocratiq­ue » .Ilexhorte, en tout cas, le PS à « redéfinir son identité » sur des bases claires, en bannissant toute confusion avec le libéralism­e pour renouer avec « la défense du monde du travail », en évitant de trop s’égarer dans des débats dits « sociétaux » et en intégrant « l’exigence écologique », afin de préparer les conditions d’un rassemblem­ent autour d’un axe socialécol­ogique.

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(Photo d’archives AFP) Lionel Jospin juge sévèrement le macronisme.

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