« Il serait léger de croire une victoire du RN impossible »
Très critique sur le « néolibéralisme masqué » d’Emmanuel Macron, Lionel Jospin estime que le Président joue avec le feu en réduisant la vie politique à un duel entre lui et Marine Le Pen
Autant prévenir d’emblée, ce n’est pas un livre pour amateurs de sentences vachardes et d’anecdotes croustillantes. C’est sans doute pour cela, d’ailleurs, que les médias en parlent si peu… Un temps troublé est,
(1) sans surprise, à l’image de son auteur : austère et sans fioritures. On y cherche en vain jusqu’au bout un peu de légèreté. Mais nul ne s’attendait à ce que Lionel Jospin ponde un recueil de blagounettes ! Sans céder donc aux formules lapidaires, l’ancien Premier ministre et membre du Conseil constitutionnel se montre néanmoins sévère envers Emmanuel Macron. « La promesse chimérique d’un ‘‘nouveau monde’’ est restée lettre morte. Notre pays est loin d’adhérer à ce qu’on lui propose aujourd’hui : un néolibéralisme orné de progressisme », autrement dit un néolibéralisme qui avance « masqué », sous couvert de « progressisme affiché ».
Perturbateur et héritier
Tout en se livrant en filigrane à un plaidoyer pro domo de son action de 1997 à 2002 – « deux millions d’emplois créés en cinq ans, 900 000 chômeurs de moins, durée du travail réduite, Sécurité sociale ramenée à l’équilibre, police de proximité… » –, l’ancien patron du PS liste les ébranlements successifs qui, outre les aléas de la campagne à droite, ont construit le succès macronien en 2017. À Nicolas Sarkozy, il reproche d’avoir fait ratifier par le Parlement le Traité européen rejeté par référendum en 2005, rompant ainsi un peu plus encore la confiance des citoyens dans leurs représentants. À François Hollande, il fait grief d’un « manque d’autorité » qui a semé la confusion dans son camp. « L’affaissement de la gauche, l’image dégradée du champion de la droite, une société découragée par le maintien d’un chômage élevé, la persistance des inégalités et le sentiment de l’impuissance des politiques ont, à la veille de l’élection présidentielle de 2017, nourri un désir de changement. Il s’est cristallisé sur un homme jeune et énergique, bien armé intellectuellement, virulent dans la critique de ses devanciers, attirant comme un perturbateur et rassurant comme un héritier. » Après trois ans de mandat, hors mesures dictées par la crise sanitaire, Jospin reproche à l’hôte de l’Élysée sa « verticalité excessive » autant qu’une « approche fondée sur la flexibilité et la baisse du coût du travail », un choix jugé « socialement explosif, outre qu’il risque de s’avérer inefficace économiquement ».
« Le néolibéralisme peine à être social »
Pas convaincu de la pertinence du credo du ruissellement de la richesse et des premiers de cordée entraînant les autres, Lionel Jospin cite une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques, selon laquelle ce sont les plus riches qui ont profité, depuis 2017, de la politique gouvernementale. « Dérégulation du marché de l’emploi, durcissement des règles de l’Assurance-chômage, remise en cause d’éléments fondateurs du système social français », le socialiste qu’il demeure s’inquiète : « Les Français ne sont pas des adeptes inconditionnels du libéralisme économique, ils mesurent combien le néolibéralisme peine à être social », dit-il, le jugeant par ailleurs impropre à juguler « la menace climatique ».
« Macron confère au RN la figure de l’alternance »
« “En marche” donne l’impression étrange d’une puissance surplombant le vide… Le rejet du monde ancien peut servir de viatique le temps d’une conquête, mais cette rhétorique tourne à vide une fois le pouvoir conquis », martèle Lionel Jospin. Le candidat malheureux à la présidentielle de 2002, qui a vu le FN stopper net sa carrière, lance même une mise en garde : à ses yeux, le chef de l’État joue avec le feu en polarisant la vie politique autour de lui et Marine Le Pen. « Emmanuel Macron confère imprudemment au RN la figure de l’alternance. Si la politique actuelle échoue, il n’est pas exclu qu’une occasion de gagner soit offerte au Rassemblement national. On ne peut pas écarter l’hypothèse d’une victoire du RN en 2022. Il serait léger de croire ce scénario impossible. » Ce signal d’alarme tiré, Lionel Jospin réaffirme sans ambiguïté son ancrage à gauche. Il plaide pour une égalité des droits qui s’accompagne d’une égalité réelle des chances, à travers par exemple des mesures spécifiques pour les élèves issus de l’immigration ou d’un accès à la fonction publique facilité pour les habitants des quartiers prioritaires. Il dénonce aussi « l’attentisme » en matière de protection de la planète, appelant à « élaborer une doctrine de la transition écologique » et à ne surtout pas desserrer les contraintes environnementales pour répondre à la crise sanitaire et économique.
Un axe social-écologique
Des résultats des municipales, il esquisse un timide espoir de voir « une union des forces de gauche et écologistes invalider le duel MacronLe Pen en 2022 ». Tout en invitant à remettre sous contrôle un capitalisme qui « s’est affranchi des règles sociales et s’est émancipé des intérêts nationaux au moyen des délocalisations », le double candidat à la présidentielle émet toutefois des doutes sur la capacité de la gauche et des écologistes à s’unir autour d’un projet de gouvernement. Il déplore « les comportements égotistes » au PS et le ton véhément adopté par La France insoumise, qui « l’éloigne du socialisme démocratique » .Ilexhorte, en tout cas, le PS à « redéfinir son identité » sur des bases claires, en bannissant toute confusion avec le libéralisme pour renouer avec « la défense du monde du travail », en évitant de trop s’égarer dans des débats dits « sociétaux » et en intégrant « l’exigence écologique », afin de préparer les conditions d’un rassemblement autour d’un axe socialécologique.