« Même les morts-vivants ont des cartes Vitale ! »
Allocations, fausses identités… Dans son livre Cartel des fraudes, le magistrat Charles Prats alerte sur l’ampleur de la fraude sociale, qu’il estime à 50 milliards d’euros par an
Cinq millions. Cinquante milliards. Voilà les chiffres clefs alignés dans le livre coup de poing Cartel des fraudes de Charles Prats, qui paraît jeudi aux éditions Ring. Soit, selon lui, 5 millions de bénéficiaires fantômes de prestations sociales, et 50 milliards d’euros qui s’évaporent ainsi chaque année. Ce magistrat, vice-président chargé des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Paris, a oeuvré au sein de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du Budget de 2008 à 2012, où il était chargé de la coordination de la lutte contre les fraudes fiscales, douanières, sociales et le travail illégal.
En préambule, vous exposez les fraudes les plus admises par les Français. Et le gagnant est… ? En , un sondage Harris interactive sur « Le regard des Français sur la fraude » révèle que la fraude la plus admise est celle à la TVA, avec un taux de popularité de % ; % trouvant acceptable de payer au noir pour ne pas devoir payer la TVA. On trouve % des personnes qui estiment normal de percevoir des prestations sociales auxquelles on n’a pas droit. Plus dans le détail, % des gens acceptent l’utilisation de faux documents d’identité, état civil, carte Vitale, faux bulletins de salaire pour obtenir des avantages…
Pourquoi ainsi interpeller l’opinion publique ? Ce livre est ma façon de lancer l’alerte. Il fait suite à un signalement de mon organisation professionnelle auprès du procureur national financier – qui n’a pas eu de suite – et, en parallèle, de la tenue de travaux d’une commission d’enquête qui, pour la première fois, a posé les bonnes questions. Je salue d’ailleurs la qualité des travaux d’audition menés par Patrick Hetzel (LR), président de cette commission d’enquête, et Pascal Brindeau, député UDI et rapporteur. J’ai rédigé ce livre pour ceux qui, notamment, en ont assez de payer toujours plus d’impôts, toujours plus de cotisations sociales et qui voient leurs services publics se dégrader. Tout est étayé, il y a des QR codes pour accéder à des vidéos, aux séances parlementaires.
Cartel des fraudes débute par une référence au terrorisme. Étonnant ? Derrière la fraude aux prestations sociales, il n’y a pas simplement quelqu’un qui essaie de gratter euros par mois car il a du mal à vivre. Derrière, il y a aussi des organisations criminelles, voire des organisations terroristes comme l’État islamique. Il y a des instructions données à leurs « militants » de profiter du système. C’est un mode de financement d’escroquer les prestations sociales, la fiscalité, les banques… Pour eux, c’est aussi un acte de guerre. J’en fais la démonstration avec le Belge, Zakaria Asbai alias Abu Zubair, qui traverse la frontière au moment des attentats du novembre. « Abu Allocs », fondateur de l’État islamique en Syrie, vient s’inscrire à la Sécurité sociale française sous une fausse identité.
On lui délivre un numéro d’inscription grâce une carte d’identité falsifiée. Quand on nous dit « Mais non il n’y a pas de fraudes, tout est géré : fake news …» La tête de la fake news, c’est aussi les djihadistes.
Les « fraudo-sceptiques » dénoncent des « mensonges », de la « manipulation de chiffres ». Votre avis ? La Cour des comptes vient de faire ce que j’ai fait. J’ai suivi la méthode de l’Inspection générale des finances. Cette méthode de comparaison qui conduit à mettre en évidence un système de fraude consiste à comparer le nombre de gens qui sont bénéficiaires dans le système avec le nombre de gens qui existent au recensement Insee, et on regarde la distorsion. S’il y a une grosse distorsion, c’est qu’il y a un problème. On est sur la question : qui touche vraiment des prestations sociales ? Il y a, selon les chiffres, , millions de personnes assurés sociaux (avec un numéro d’inscription au répertoire actif), alors qu’en rajoutant les retraités à l’étranger notamment, on devrait avoir au maximum millions de personnes bénéficiaires. D’après la Cour des comptes – dont le rapport a été publié mardi –, il y a , millions d’assurés sociaux pour millions d’habitants. C’est un peu la panique pour ceux qui nient la fraude à grande échelle. Ça en fait combien de dizaines de milliards, ça ?
Devant la commission d’enquête, en mars, je parlais de , millions de fantômes. On me dit encore « fake news ». Fin juillet, la direction de la Sécurité sociale, sous serment, parle de , millions, sur un air de «Onnesaitpas qui c’est, on investigue ». Amusant. Ils font comme moi et… même chiffre. Et là, la Cour des comptes arrive. On est sur une fourchette entre , et millions.
Lors de vos investigations, vous découvrez trois retraités dépendants du régime militaire âgés de ans. Une anomalie ? Alors eux, ce sont les doyens du cartel. On connaît le doyen de la France, Jules Théobald, ans, et j’ai découvert mieux. Trois militaires retraités âgés en effet de ans. On nous aurait donc menti sur la disparition du dernier Poilu ! Nous pouvons aujourd’hui reconstituer un régiment complet de la bataille de Verdun et aller les chercher avec les taxis de la Marne… C’est Walking Dead [bande dessinée et série TV de zombies, Ndlr]. Même les morts-vivants ont des cartes Vitale !
Dans la région, la CAF et la Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) du Sud-Est ont mis à jour, lors d’un contrôle entre et , une fraude dans le Var... Lors de ce contrôle, il va apparaître , % de fraude à la résidence ; c’est-à-dire que des retraités, entre guillemets, nés à l’étranger censés être dans le Var n’y étaient pas. Cette opération a permis de notifier euros d’allocations logement fraudées. La Carsat, chargée entre autres de servir le minimum vieillesse, va découvrir que sur individus contrôlés, fraudent à la résidence pour les bénéficiaires du minimum vieillesse, soit près de %. Soit un peu plus de , millions d’euros de préjudice financier évité.
Le chômage partiel lié aux mesures d’aides aux entreprises en raison de la Covid- pourrait servir de socle aux arnaques ? Le chômage partiel, c’est la fraude de l’année ! J’avais alerté des parlementaires pour qu’ils déposent des amendements pour essayer de bloquer les choses quand je me suis rendu compte que le système était en « open bar ». Amendements qui ont été rejetés. On a des taux de fraude de l’ordre de %, que ce soit les gens qui ont été déclarés en chômage partiel et qui continuent de bosser car leurs employeurs leur demandent de bosser, ou des escroqueries où les gens créent des boites pour se faire verser de l’argent. Si on est à % de fraudes sur milliards d’euros versés, il suffit de faire le calcul… On se retrouve avec à milliards arnaqués en quelques mois.
Comment sécuriser le système ? Il y a l’idée d’un « FBI de lutte contre la fraude sociale » : un grand service de coordination, d’analyses et de croisement des fichiers pour mieux cibler les enquêtes administratives. La biométrie est aussi une solution de bon sens. Face aux fraudeurs, il faut sécuriser le système. Biométrisons le numéro de Sécurité sociale avec l’enregistrement des empreintes digitales, comme c’est déjà le cas pour la carte d’identité.
Les doyens du cartel ? Trois retraités de ans !”
Le chômage partiel : la fraude de l’année”
Cartel des fraudes par Charles Prats, éditions Ring. Sortie le 17 septembre. 314 pages, 18 euros.