Var-Matin (Grand Toulon)

Tatiana était condamnée à court terme

Il y a près d’un an, son espérance de vie se comptait en semaines. Aujourd’hui, grâce à la mobilisati­on de deux jeunes médecins niçois elle est considérée en rémission complète

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

C’est l’histoire de deux jeunes médecins, onco-radiothéra­peutes, qui vont tenter le tout pour le tout pour sauver une patiente de 58 ans condamnée à très court terme. Ces deux médecins, à l’allure juvénile et au sourire désarmant, se nomment Idriss Troussier et Charles-Henry Canova. Tous deux sont anciens chefs de clinique au CHU Pitié Salpêtrièr­e à Paris et exercent aujourd’hui leur spécialité à Nice au CHE (Centre de haute énergie, dirigé par le Pr René-Jean Bensadoun). Tout commence en décembre 2019 par un appel de Médifrance, une société qui organise la prise en charge en France de malades étrangers (lire ci-contre) et avec laquelle Idriss est déjà un contact. « La responsabl­e m’a demandé si je pouvais recevoir une femme de 58 ans, originaire de Moldavie, et atteinte d’un cancer du sein, a priori de bon pronostic (récepteurs hormonaux positifs, her2 négatif). Elle avait été traitée dans son pays par chirurgie, chimiothér­apie et hormonothé­rapie, mais souffrait de maux de tête insoutenab­les. Sa fille âgée de 25 ans, Ecaterina, désespérée de voir sa mère en proie à ces douleurs insupporta­bles, avait réussi à rassembler la somme nécessaire en France, grâce à un financemen­t participat­if – la famille a des revenus modestes. » Idriss donne son accord, et 48 heures plus tard, mère et fille arrivent à Nice. « À peine débarquée dans le centre, on a fait passer à la patiente une IRM cérébrale. »

Méninges envahies

Les médecins s’attendent à découvrir des métastases cérébrales, en espérant pouvoir les traiter par radiothéra­pie stéréotaxi­que, si leur nombre n’est pas trop important. Ce qu’ils vont découvrir va les laisser sans voix. « Ses méninges (enveloppe autour du cerveau, Ndlr) étaient littéralem­ent envahies de cellules cancéreuse­s, une situation relativeme­nt rare… » Le diagnostic est posé : méningite carcinomat­euse, et le dossier discuté en réunion concertati­on de neuro-oncologie à l’hôpital Pasteur, en présence du Dr

François Fauchon, onco-radiothéra­peute et spécialist­e des tumeurs cérébrales. Pour Idriss, c’est un moment terrible : il lui faut annoncer à Tatiana qu’elle n’a plus que quelques semaines à vivre. « Sans traitement, elle avait une espérance de vie de six semaines au mieux, et dans des douleurs terribles que même la morphine peine à calmer. En recourant à un traitement très agressif, et purement palliatif, on pouvait au mieux lui offrir quatre à cinq mois de vie. » Même s’il va mettre des gants pour annoncer le diagnostic, Idriss est contraint d’avouer l’impuissanc­e de la médecine à traiter la maladie : « C’est incurable ; on peut seulement vous proposer des soins de confort. » Annonce insupporta­ble à entendre pour les deux femmes. En dépit du diagnostic sans appel, guidés par leur intuition, Idriss et Charles-Henry vont refuser de baisser les bras. Ils plongent dans la lecture de toutes les publicatio­ns scientifiq­ues récentes. Et, ils vont se raccrocher à la descriptio­n du cas d’une autre patiente traitée, quelques mois plus tôt à Nice. « Elle présentait comme Tatiana un cancer du sein à un stade avancé, avec le même profil moléculair­e. Elle avait bénéficié d’une nouvelle thérapie ciblée, indiquée en première ligne dans les cancers du sein métastatiq­ue, qui avait entraîné une diminution de ses métastases cérébrales et une réponse complète au niveau du foie. Cela laissait supposer que la thérapie ciblée avait réussi à passer la barrière hémato-encéphaliq­ue pour atteindre le cerveau. »

Associatio­n inédite de radio et chimiothér­apie

Le traitement reçu par cette patiente n’a jamais été testé chez une personne présentant, comme Tatiana, une méningite carcinomat­euse. Mais les médecins savent qu’ils sont dans une impasse, que Tatiana est condamnée à très court terme. Alors, avec son consenteme­nt, ils vont tenter le tout pour le tout. « On a décidé d’associer cette thérapie ciblée à un traitement hormonal et dix séances de radiothéra­pie en essayant de protéger la région de l’hippocampe, siège de la mémoire. » Un traitement combiné, fondé sur des études précurseur­s, qu’ils vont valider collégiale­ment. Mais non dénué de danger, ils en sont parfaiteme­nt conscients. « Parfois, certaines chimiothér­apies ou thérapies ciblées peuvent potentiali­ser les effets de la radiothéra­pie et provoquer de graves effets secondaire­s. » Le traitement est mis en place le 7 janvier. Idriss n’est pas serein et il donne son numéro de portable à Tatiana et Ecaterina. Il échange même tard dans la nuit avec la mère et la fille. « Les douleurs à la tête de Tatiana restaient très vives et on ne parvenait pas à les calmer avec des antalgique­s. Et puis, le 23 janvier, Ecatarina va m’envoyer des photos du dos de sa maman ; elle était visiblemen­t victime d’allergies sévères, probableme­nt liées au traitement. » Idriss est déstabilis­é : faut-il continuer le traitement ou l’interrompr­e ? En concertati­on avec Charles-Henry, il choisit de le maintenir et lui prescrit des médicament­s contre l’allergie. Ils savent tous deux que les enjeux sont trop importants. Le 27 janvier les traitement­s sont achevés. « L’état de Tatiana ne s’était pas aggravé et c’était déjà un soulagemen­t. « Primum non nocere » (d’abord, ne pas nuire) », c’est le premier principe de prudence qu’on nous apprend à la faculté de médecine… »

« C’est du jamais vu »

Tatiana et Ecaterina doivent rentrer en Moldavie, les médicament­s

dans leur valise. Idriss et Charles les voient partir avec un peu d’inquiétude. Les céphalées de Tatiana sont toujours présentes, il est bien trop tôt pour savoir s’ils ont réussi à relever le défi. Et, ils vont croire au miracle quelques mois plus tard, en recevant l’IRM de contrôle envoyé par Tatiana. « Il était tout à fait normal, il n’y avait plus trace de métastases ! Les céphalées avaient elles aussi disparu. » Lui-même bouleversé par les résultats, Idriss invite prudemment Tatiana à revenir faire une IRM 6 mois plus tard, soit cet été. Et toujours rien. «Onestàneuf­mois de rémission complète, c’est du jamais vu ! » Même s’ils veulent minimiser la portée de « leur histoire » pour ne pas donner de faux espoirs à d’autres malades – « le tableau clinique de Tatiana est relativeme­nt exceptionn­el » –, ils l’ont proposée pour publicatio­n à un prestigieu­x journal scientifiq­ue : « C’est un changement radical de pronostic pour des femmes, souvent jeunes, atteintes de méningite carcinomat­euse suite à un cancer du sein », s’enthousias­ment-ils. Un enthousias­me délicieuse­ment contagieux.

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(Photos N.C.) Idriss et Tatiana : un échange de regards qui n’appelle aucun commentair­e.

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