ULYSSE AU PAYS DES MERVEILLES
Imaginée par Ferdinand Bac dans les années vingt et réveillée par ses actuels propriétaires, cette villa jardin mentonnaise évoque la mythologie grecque dans un splendide paysage méditerranéen.
J’ai trouvé le port ; espoir et hasard au revoir, je vous ai assez servi de jouet, maintenant jouezvous des autres. »
Sur la façade de la villa des Colombières, Ferdinand Bac a fait courir cette phrase, en latin, comme un ruban. Après une odyssée sur les rives de la Méditerranée, le caricaturiste devenu paysagiste jette l’ancre aux Colombières, en 1919. Fin de périple. Place à la création. Ses amis, Caroline et Émile LadanBockairy, le chargent de transformer une propriété qu’ils viennent d’acquérir. Petite bâtisse tristounette agrippée à la colline de Garavan, à Menton. Autour, des hectares de terrain, peuplés d’oliviers, agencés en terrasses. Immense champ des possibles.
Évocation du voyage
De cette page blanche à écrire, Bac imaginera son oeuvre manifeste, sept ans durant. « Un bouquet de
tous ses souvenirs de voyage », expliquera-t-il. En reflet à son expérience personnelle, il dédie le jardin au plus célèbre des vadrouilleurs : Ulysse. Le parcours, accessible aux visiteurs, prend racine avec le jardin d’Homère, un patio dont les murs sont couverts de fresques représentant l’Odyssée. Les couleurs de la villa (privée), rouge et ocre, éclatent derrière le bassin aux nénuphars. On suit la fontaine de la princesse phéacienne Nausicaa, une des rares représentations concrètes du voyage, pour grimper jusqu’à l’Île de Calypso. Un bassin tout en rondeurs, évoquant l’initiation charnelle au coeur duquel se dresse un obélisque... Une déesse chat observe la scène. Un escalier conduit au Casino dit de Palladio, petit kiosque qui abritait jadis une statue et où l’air circule en tout temps. C’est une des surprises de ce merveilleux jardin, une des « fabriques » qui le composent, comme des pièces à ciel ouvert. Des endroits où l’on prend plaisir à raconter des histoires. Pavillons, colonnades et ponts proposent entre leurs arcatures de merveilleuses échappées sur la vieille ville de Menton. Le paysage semble cloisonné. Montré petit bout par petit bout. L’effet de surprise est ménagé. Ferdinand Bac s’est aussi occupé de la mer, omniprésente, plus bas. La révélant au détour d’encadrements végétaux. Côté verdure encore, le parc appelle à un voyage initiatique au fil de la Méditerranée. Ferdinand Bac trouvait oppressantes les compositions florales des Anglais installés à Menton. Il bannit ici le gazon et le palmier, qu’il affuble du sobriquet de « balai des tropiques » . Il leur préfère les merveilleux cyprès sombres, les pins d’Alep et les oliviers sacrés de Toscane et de l’Ombrie.
Un bélier et une méduse
Le voyage d’Ulysse reprend au détour d’un caroubier millénaire, frappé par le courroux de Zeus. Là encore, le concepteur de ce jardin trésorifique a voulu saisir les propriétés naturelles du terrain comme autant d’opportunités de révéler un imaginaire du paysage. S’appuyant sur le vieil arbre, il trace une allée pour s’y rendre et construit un pont. Bac joue avec les proportions, dans l’allée des jarres, où les tailles des éléments varient pour créer une perspective illusoire. Plus loin, Le Bélier de l’artiste Ivan Theimer (qui rappelle celui grâce auquel Ulysse a pu fuir de la caverne du cyclope), révèle un espace sauvage. Tandis que, dans une percée en hauteur, une médusante Gorgone coupe le souffle du visiteur. Mystérieuse présence. Ulysse aux enfers ? Une plongée, un soupçon seulement, avant de regagner un belvédère, celui des Champs Élysées, offrant une vue à 360 degrés sur la Méditerranée. Une certaine idée du paradis.