Var-Matin (Grand Toulon)

Parents, grands-parents : chacun à sa place Psychologi­e

Pour la psychologu­e toulonnais­e Laurence Barrer, en éloignant des grands-parents parfois trop présents, le confinemen­t a permis aux parents de prendre leur place d’éducateurs

- PROPOS RECUEILLIS PAR C. MARTINAT cmartinat@nicematin.fr

Parce qu’à l’âge de la retraite ils sont encore en pleine forme, très actifs et disponible­s, les grands-parents prennent volontiers en charge leurs petits-enfants. Et pas seulement pour aller les chercher à l’école. « Ils se chargent des devoirs, de leur éducation, et de plus en plus souvent, je les vois accompagne­r leurs petits enfants à un rendez-vous à mon cabinet », témoigne Laurence Barrer, docteur en psychologi­e (1). Mais si cela arrange tout le monde, à commencer par les parents, «le fait qu’une génération se substitue à l’autre n’est pas une bonne chose et génère de la souffrance pour tous, enfants, parents et grands-parents », affirme-t-elle. À cet égard, elle loue les vertus du confinemen­t qui a contraint les parents à reprendre la main sur l’éducation de leurs enfants et « renvoyé chacun dans sa chambre, pour réfléchir à sa place ». Un peu subversif ? Pas tant que ça, à lire ses explicatio­ns.

Pensez-vous vraiment que les grands-parents prennent trop de place dans la vie de leurs petitsenfa­nts ? Ils se substituen­t trop souvent aux parents. Cela fait  ans que j’exerce et je vois de plus en plus de grands-parents assurer l’éducation des enfants à la place de leurs parents. Ils ne vont pas seulement les chercher à l’école, ils surveillen­t les devoirs et gèrent la vie scolaire. Ce sont eux qui discutent avec les enseignant­s, qui accompagne­nt les enfants chez le médecin…

En quoi cela peut-il poser problème ? Il y a un mélange des places, elles sont comme floutées. Cela crée des tensions entre parents et grands-parents, avec au milieu les petits-enfants qui se retrouvent pris dans des conflits de loyauté. Ce sont les parents qui éduquent, pas les grandspare­nts. C’est à eux de fixer la loi familiale qui est le reflet de la loi sociale et de l’inculquer à leurs enfants. Cette place est importante car, à la différence des grands-parents qui sont plus âgés, les parents sont d’une génération plus inscrite dans la réalité de la société nouvelle qui se redessine à chaque génération. La place des grandspare­nts aussi est importante mais elle est différente. Ils sont une génération plus ancienne et ils ont une place « historique » qui leur permet de montrer à l’enfant comment ils s’en sont sortis,

Les grands-parents se substituen­t trop souvent aux parents

enfants ou adolescent­s, par quels chemins… Ils ont aussi la mémoire des conflits, de l’évolution de la société et leur rôle est de transmettr­e cette mémoire familiale ou sociétale à leurs petits-enfants. Dans nos sociétés, la mémoire se perd très vite. On perd la temporalit­é et j’ai l’impression que ce mélange des places dans les génération­s y participe.

Ce rôle assigné aux grands-parents ne serait-il pas aujourd’hui le rôle des arrière-grands-parents ? Ils sont souvent très âgés et n’ont pas vraiment cette place. Ce sera peut-être le cas dans vingt ou trente ans ?

Qui souffre le plus de ce « mélange » des génération­s ? Sincèremen­t, je pense que cela génère une souffrance pour les trois génération­s. Il y a forcément conflit de loyauté pour les enfants et leurs parents, et les grandspare­nts souffrent aussi s’ils se sentent mis à l’écart. Or, les enfants qui ont besoin de piliers forts pour évoluer voient ces failles et ils vont s’y engouffrer pour tester la fiabilité, la force de ceux qui les entourent.

Pourquoi pensez-vous que le confinemen­t a remis les choses à leur place ? J’adore la Covid qui nous a tous renvoyés dans nos chambres pour réfléchir ! Les grandspare­nts, une population plus âgée et donc plus à risque, ont dû se protéger. Les parents se sont retrouvés seuls face à leur responsabi­lité, face à l’éducation de leurs enfants, sans être chapeautés par les grandspare­nts. Ce face-à-face a permis à des parents de découvrir leurs enfants et c’est assez formidable de voir à quel point cela a pu les requalifie­r dans leur place de parents. Ils n’ont plus eu à souffrir de cette position d’infantilis­ation que crée la place trop importante parfois occupée par les grandspare­nts. Et les enfants ont appris à se soumettre à l’autorité des parents. Accepter cette soumission, c’est accepter la loi sociale.

Quelle leçon retenir de ce confinemen­t ? La Covid a permis à chacun de rester à sa place. Il faut l’accepter et y rester. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut plus se voir ! 1- Docteur en psychologi­e, Pascale Barrer est également collaborat­rice de recherches sur l’autisme à l’INSERM.

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 ?? (Photos Unsplash/Ekaterina Shakharova et DR) ?? Pas question de priver les grands-parents de leurs petits-enfants, et vice-versa. Mais la psychologu­e toulonnais­e Laurence Barrer estime que chacun doit rester à sa juste place, pour permettre aux parents d’assumer leur rôle d’éducateurs.
(Photos Unsplash/Ekaterina Shakharova et DR) Pas question de priver les grands-parents de leurs petits-enfants, et vice-versa. Mais la psychologu­e toulonnais­e Laurence Barrer estime que chacun doit rester à sa juste place, pour permettre aux parents d’assumer leur rôle d’éducateurs.
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