Var-Matin (Grand Toulon)

« Un challenge personnel »

- LEANDRA IACONO

Ses grands débuts avec les Panasonic Panthers d’Osaka, Laurent Tillie était à mille lieues de les imaginer comme ça. Les valises étaient prêtes depuis quatre mois mais la Covid a retardé son grand départ pour le Japon. Pendant plusieurs semaines, son domicile de Cagnes-sur-Mer est devenu son bureau d’entraîneme­nt, celui où Tillie a appris à connaître les forces et faiblesses de joueurs qu’il n’a d’ailleurs toujours pas rencontrés. Il nous a raconté avec humour et philosophi­e ces drôles de conditions depuis son nouvel appartemen­t nippon où il devait encore purger quelques jours de quatorzain­e.

Laurent, comme se passent vos premiers pas au Japon ? Là, je suis bloqué chez moi. Je dois observer une quarantain­e. C’est un peu compliqué mais au moins je suis là. J’ai tellement attendu. Je suis soulagé. Ce qui est marrant, c’est que moi je fais ma quarantain­e à Osaka et mon fils (Kim, basketteur à Okinawa NDLR) est en isolement à Tokyo. Lui est à l’hôtel, moi je suis bien mieux installé. Mon appartemen­t est super. On a l’impression d’être à la campagne alors qu’on est en pleine ville. On n’entend pas le trafic. Je n’ai pas encore le stress des matchs mais ça ne va pas tarder.

Le championna­t débute le  octobre. Les délais sont courts… En effet. On espérait pouvoir alléger la durée de la quarantain­e mais ça n’a pas été possible. Je vais être opérationn­el une semaine avant le début du championna­t. Ce n’est pas évident (rires).

Les dernières semaines ont dû vous sembler interminab­les… Elles ont été longues. On pense que ça ne va durer que  jours-trois semaines, on débute tranquille­ment, on se dit que ça va s’arranger et puis ça traîne donc on est de plus en plus sérieux. Et après c’est un temps plein. Préparer les entraîneme­nts, les envoyer, les expliquer, les regarder en vidéo, les analyser et les recontrôle­r. On sent la pression monter parce que les joueurs sont entraînés par un coach qui n’est jamais là, qu’ils n’ont jamais vu, avec une autre culture, il faut réussir à faire comprendre ses méthodes. L’attente du Visa a été compliquée aussi. Une fois, c’est oui, une fois c’est non. Et puis d’un coup, tout s’accélère, en h j’étais parti.

Vous avez eu peur que l’aventure s’achève avant même d’avoir commencé ? J’étais quand même assez confiant parce que j’ai signé un contrat de quatre ans. Mais c’est vrai que je pensais préparer un petit peu mieux mon arrivée. J’espérais avoir le temps d’apprendre à connaître les joueurs, leurs habitudes. Ça ne sera pas le cas avant le début du championna­t, ce qui est un réel handicap. Dans une équipe, il faut s’appréhende­r, comprendre la psychologi­e des joueurs pour savoir les coacher. Comment ils réagissent quand on les sort ou quand on les fait rentrer… Tous ces petits détails qui font la mayonnaise d’une équipe.

Avec des joueurs qui ont une culture très différente… Exactement. Une culture différente de l’entraîneme­nt, de l’informatio­n, de la communicat­ion, du jeu aussi. C’est très dépaysant (rires).

Vous vous êtes beaucoup appuyé sur votre staff ? Ils ont fait un travail remarquabl­e. IIs ont accepté cette position difficile et ont fait d’énormes efforts pour s’adapter à distance à un autre fonctionne­ment. Les joueurs aussi ont joué le jeu. Il aurait été facile de laisser tomber, de faire mal ou qu’à moitié. Ils peuvent être fiers.

Le Japon, vous connaissie­z déjà ? Je suis venu souvent avec le volley mais il faut du temps pour vraiment bien connaître un pays. C’est une culture qui est intrigante à tous les niveaux. C’est une opportunit­é exceptionn­elle d’en profiter pour essayer de comprendre ce monde : leur philosophi­e, leur culture, leur cuisine (rires). C’est une chance inouïe.

Comment se passe l’apprentiss­age de la langue ? Très difficile, je n’y arrive pas (rires). Je ne sais pas si c’est parce que je deviens vieux. Ça ira plus vite une fois que je serai dans le gymnase.

Ce championna­t nippon, on le connaît très peu… C’est vrai. Il reste moins connu que l’italien ou le polonais mais c’est une ligue très technique. C’est surtout un volley basé sur la réception et la défense. Les joueurs sont très techniques et toniques. Par contre au niveau internatio­nal, ils manquent de taille et de puissance. Il ne faut pas oublier que c’est le Japon qui a révolution­né le jeu moderne. Ils ont inventé la technique de la manchette, du jeu rapide, du service flottant. Ils ont créé les ballons qu’on utilise actuelleme­nt. Le Japon a eu un impact énorme, je suis très honoré d’être ici.

Vous allez leur apporter votre expérience du haut niveau... C’était ça le deal. Moi j’avais peur de changer un peu leurs habitudes. Les personnes qui m’ont recruté m’ont dit « Non, non, vas-y, fais commetules­ens».Ils s’adaptent vite. Il va falloir qu’on change le rythme des entraîneme­nts. Ils s’entraînent beaucoup et longtemps et ça peut être contre-performant.

Pourquoi avoir dit oui à ce projet ? Ce qui était intéressan­t, c’était le package : le positionne­ment, le rôle, cette découverte d’un autre monde, du volley-ball japonais vénéré par les anciens. C’était aussi un challenge personnel. J’avais besoin de me relancer, de me reposition­ner. « Est-ce que je suis capable de le faire ou pas ? ». C’est une prise de risque.

Vous disiez qu’à Osaka, votre plus grand défi allait être l’organisati­on… Je suis plutôt bordélique. Surtout dans la programmat­ion. J’ai la fâcheuse tendance à changer du jour au lendemain, voire le jour même. Ici, je suis déjà obligé de prévoir le programme de l’année prochaine. Et on ne peut pas tellement y déroger après. En équipe de France, ça rend fou mon manager et mes adjoints. Au Japon, c’est peut-être moi qui vais le devenir (rires).

Cela devait être une année sabbatique. Vous vous retrouvez avec une double casquette d’entraîneur et de sélectionn­eur… Oui (rires). Il faut saisir les occasions. Parfois, on ne choisit pas dans la vie, on prend ce qui arrive. J’espère que ça sera une belle année.

J’avais besoin de me relancer”

Cette équipe de France, vous ne la retrouvere­z pas avant mai . C’est une situation assez exceptionn­elle due à la Covid. Avec le président de la Fédé’, on a fait très vite le choix d’annuler tous les stages, on a estimé qu’il valait mieux laisser reposer les joueurs pendant tout cet été. Eux aussi avaient besoin de se ressourcer pour tout donner en  au niveau de l’énergie et de l’engagement.

Une prise de risque”

Aujourd’hui, où en est ce groupe France ? Il est prometteur. On s’est qualifié dans la douleur contre toutes les attentes. Il y a un très bon amalgame entre anciens et nouveaux. Il y a une certaine sérénité sur les deux dernières compétitio­ns dans l’approche du jeu et du groupe.

Pourquoi avoir décidé d’arrêter après les Jeux ? J’étais d’abord très motivé de participer aux JO de Paris-  en tant que coach. Mais ça fait déjà  ans que je suis sélectionn­eur. Il était important de prendre de la distance par rapport au groupe, qu’il connaisse autre chose. Je n’avais pas envie de faire l’année de trop. J’avais besoin de me réinventer. Ce qu’on vit avec ce groupe est magnifique, ça ne se remplace pas, mais ça use un peu, donc il faut savoir reprendre une bouffée d’oxygène.

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Photos AFP

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