Comment améliorer les traitements anti-cancer
Pourquoi certaines cellules cancéreuses survivent aux thérapies ciblées, sans modification de leurs gènes ? Des chercheurs azuréens ont la réponse
Chaque année, des milliers de molécules voient leur développement par l’industrie pharmaceutique interrompu, faute d’avoir pu fournir la preuve d’une efficacité suffisante. Et avec cette issue, les espoirs de millions de malades atteints de maladies graves s’éteignent. « Le sujet est particulièrement sensible dans le champ de l’oncologie, pointe Jérémie Roux, chercheur au CNRS/Ircan à Nice (équipe du Pr Hofman). Plus que pour toute autre spécialité, il est impératif qu’un traitement soit capable d’éliminer le plus grand nombre de cellules cancéreuses. Dans le cas contraire, la récidive est presque inévitable. » Pourquoi des cellules sont tuées par les traitements anticancéreux quand d’autres y semblent tout simplement insensibles ? « On sait qu’interviennent des mutations génétiques expliquant cette résistance aux traitements. Mais elles ne sont pas seules à participer à ce phénomène. Très tôt, au sein d’une population de cellules cancéreuses en tout point identiques d’un point de vue génétique, on a pu mettre en évidence que certaines cellules soeurs sont éliminées, quand d’autres sont capables de résister au médicament, sans nouvelle mutation génétique. » En cause dans ces différences de comportement, un phénomène encore mal compris aujourd’hui : la variabilité naturelle de l’expression des gènes.
Variabilité naturelle
La « preuve de concept » a été fournie par les chercheurs grâce à l’étude des effets d’une thérapeutique ancienne, le Dulanermin, très intéressante puisque ciblant spécifiquement les cellules tumorales, mais abandonnée parce que jugée insuffisamment efficace. « Ce médicament a pour effet de favoriser la mort par apoptose [« suicide », Ndlr] des cellules cancéreuses. Le problème, c’est qu’il est très vite métabolisé par l’organisme – mais cette difficulté est en voie d’être résolue – et surtout inefficace sur certaines populations de cellules. » En étudiant l’action du Dulanermin sur plusieurs lignées cellulaires cancéreuses, les chercheurs azuréens ont montré que dans les minutes qui suivent l’ajout du traitement, certaines cellules, sans que leurs gènes ne soient modifiés, expriment des niveaux élevés de certaines molécules, qui les protègent de l’action du médicament anticancéreux. « En utilisant, en combinaison avec ce médicament, des thérapies ciblées contre ces autres molécules surexprimées, on améliore nettement la réponse pharmacologique. » Forte de ces observations, l’équipe de Jérémie Roux a mis au point une nouvelle méthode prédictive nommée « Fate-seq » : « Elle permet d’analyser la réponse des cellules tumorales avant qu’elle ne soit définitive, et met ainsi en évidence les facteurs moléculaires régulant l’efficacité d’une classe de thérapie ciblée. Ces résultats seront poursuivis avec le déploiement de cette technologie innovante à l’échelle d’autres thérapies anticancéreuses, pour proposer des combinaisons thérapeutiques et augmenter l’efficacité des traitements. » Ces travaux, récompensés par une publication dans la revue Cell Systems, ont abouti au dépôt d’un brevet européen. Si l’industrie pharmaceutique les suit avec un immense intérêt, les chercheurs niçois devront dans un premier temps aller plus loin, en créant leur propre entreprise, ce qui leur permettra de tester leur belle découverte à grande échelle.