Var-Matin (Grand Toulon)

À 95 ans, Yvon Gattaz imagine l’emploi du futur

Rédigé avant la crise sanitaire, le livre de l’ex « patron des patrons » peut s’apparenter à un recueil de solutions très libérales. Ce Raphaëlois de coeur partage sa vision de l’entreprise

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE PLUMEY aplumey@nicematin.fr

Toujours aussi vaillant à 95 ans. Voire innovant. Les yeux tournés vers l’avenir et l’emploi des nouvelles génération­s. Yvon Gattaz, président du Conseil national du patronat français (CNPF, ancêtre du Medef) de 1981 à 1986, continue d’irriguer le monde économique de ses idées. En donnant des conférence­s, mais aussi en publiant des essais.

Comme le dernier Emploi, emploi, emploi , trois termes qui doivent devenir « la nouvelle devise de la République », selon ses mots. Depuis ses appartemen­ts parisiens, celui qui reste président du conseil de surveillan­ce de Radiall, entreprise familiale devenue multinatio­nale, se livre. Sur le monde de l’emploi en 2030 qui ne peut qu’être durci « par la crise actuelle ». Cette Covid qui a empêché l’ex-grand patron de regagner sa demeure varoise, du côté de Boulouris, « par précaution ». Touché par le virus lors de la première vague, il connaît sa dangerosit­é. Pour autant, « il faut anticiper l’après », assure le père de Pierre Gattaz, président du Medef jusqu’à 2018.

« On disait toujours : ‘‘Gattaz a vingt ans d’avance’’ », aime-t-il rappeler. Cette fois, il en prend dix dans un ouvrage « réaliste et pas euphorique », « libéral mais assumé » aux idées novatrices. Elles plairont – ou non – selon les sensibilit­és.

L’emploi est le coeur de votre livre. Quelle analyse faites-vous de la situation actuelle ?

L’emploi est l’une des victimes de la Covid-19 avec ces entreprise­s qui ferment ou licencient. Les décès par la maladie sont nombreux, la crise sanitaire est importante. Mais il faut réfléchir, dès maintenant, à la suite. Envisager l’après par des mesures de fluidifica­tion pour favoriser l’emploi des jeunes.

Quel bilan tirez-vous du premier confinemen­t ?

C’était l’unique solution pour enrayer la proliférat­ion du virus. Économique­ment, le confinemen­t a été ravageur et on n’a pas fini de constater les premiers dégâts que le second arrive. D’où cette nécessité de réformer. L’économie est peutêtre un peu repartie cet été, mais en réaggravan­t la situation sanitaire. L’équilibre n’a pas été trouvé.

Qu’entendez-vous par « fluidifica­tion » ?

Le Code du travail, extrêmemen­t lourd, qui vise à protéger l’emploi, le restreint finalement.

Le salarié a des droits, mais l’employeur doit pouvoir créer des emplois plus simplement. Avec moins de formalisme et plus de fluidité.

Que proposez-vous ?

Autoriser la création d’emplois communs à plusieurs entreprise­s avec un contrat collectif. Si embaucher un employé est trop coûteux, plusieurs entreprise­s se regroupent pour faire travailler un employé sur un même lieu de travail ou une zone d’activité. Un peu comme les médecins ont fait dans les maisons de santé avec une seule secrétaire pour différents cabinets.

À quel problème cette solution répondrait-elle ?

Au manque d’agilité et de souplesse en vue de l’embauche. Le tout pour faciliter la démarche du créateur d’emploi.

Alliant jeunes et formation, que pensez-vous de l’apprentiss­age ?

C’est une très bonne formation. Pour la favoriser davantage, je propose que dans ces contrats, un engagement de durée soit défini à la signature. Longtemps, les patrons n’y ont pas eu recours car trop de jeunes profitaien­t de la formation puis quittaient l’entreprise à la fin. Parfois pour aller chez le concurrent. Là, le jeune serait embauché, puis resterait une certaine période auprès de son formateur. Un peu comme les énarques qui doivent ‘‘rendre des années’’ d’exercice à l’État avant de partir dans le secteur privé. L‘apprenti peut même ne s’engager ‘‘que’’ pour deux ans et l’employeur pour une durée plus longue comme trois ans.

On peut aussi voir l’inverse, avec un patron qui profite de la main-d’oeuvre de son apprenti, pour ne pas l’embaucher ensuite…

C’est possible aussi et ce n’est pas bien. Chacun doit jouer son rôle. Donnant-donnant. À mon avis, ce n’est pas le principal frein à l’intégratio­n de jeunes sur le marché de l’emploi. Si la transforma­tion d’un contrat d’apprenti en contrat de salarié est facilitée, que les finances le permettent, les deux parties ont tout intérêt à poursuivre dans la même direction.

Et concernant la vie interne d’une entreprise ?

C’est la mesure la plus simple à mettre en oeuvre à mon avis : le référendum d’entreprise. Il viserait à permettre aux salariés d’avoir leur mot à dire sur des questions comme la création d’emplois allégés, les temps partiels, la durée du temps de travail, des embauches. Les syndicats s’y opposent encore trop. Dans ce cas, le résultat du référendum ferait foi.

Entre une très grande entreprise (TGE, supérieure à 5 000 salariés), une entreprise de taille intermédia­ire (ETI, 250 à 5 000) une petite et moyenne entreprise (PME, jusqu’à 250 employés), une très petite entreprise (TPE, inférieure à 10 salariés), quelles structures doivent être en priorité ciblées dans l’accompagne­ment ?

Les ETI créent le plus d’emplois en France car elles innovent, se développen­t et s’exportent à l’internatio­nal. Selon l’INSEE, entre 2009 et 2015 les TPE ont perdu 80 000 emplois, les PME en ont créé autant, donc ça compense. Les ETI ont, elles, créé 300 000 emplois et les TGE en ont perdu 90 000. C’est une force pour la France. Il faut les encourager à développer leur recherche et développem­ent (RD) par exemple.

Si l’on vous dit que ce livre promeut des idées très libérales, voire libéralist­es...

Sûrement. Mais je ne fais pas de philosophi­e. Je ne suis pas un philosophe, mais un créateur d’emplois. Je défends la liberté d’entreprend­re.

 ?? (Photo archives Philippe Arnassan) ?? Yvon Gattaz propose, notamment, d’autoriser la création d’emplois communs à plusieurs entreprise­s avec un contrat collectif.
(Photo archives Philippe Arnassan) Yvon Gattaz propose, notamment, d’autoriser la création d’emplois communs à plusieurs entreprise­s avec un contrat collectif.

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