« J’ai pensé à ceux qui attendent une greffe » Actu
Alors que l’Agence de la Biomédecine lance une campagne d’information sur le don d’organes et de tissus, Nicole raconte le décès de son fils et pourquoi elle a accepté le don
Le don d’organes est un sujet bien complexe. S’il permet de sauver des vies chaque année, il n’en demeure pas moins qu’il est associé à la douleur d’une famille qui vient de perdre un proche. Car le don post-mortem reste le plus répandu (lire encadré). Selon la loi, nous sommes tous réputés donneurs d’organes sauf à avoir exprimé notre désaccord. Pour cela, il suffit de s’inscrire sur le registre national des refus ou de faire connaître clairement son opinion. Toutefois, les procédures sont en réalité bien plus complexes. Car on ne connaît pas toujours les volontés du défunt, et surtout parce que le corps médical doit composer avec la sensibilité et la subjectivité des proches afin de ne pas les heurter. Nicole, niçoise de 57 ans, s’est retrouvée brutalement confrontée à la question il y a un peu moins de dix-huit ans. Son histoire ressemble à tant d’autres : tout va bien quand une tragédie s’abat soudainement. Alors qu’elle profite des sports d’hiver en famille, son fils Jérôme est victime d’un très grave accident. Il n’avait que dix ans. « Quand les médecins m’ont appris sa mort, j’ai étrangement vite pensé au don d’organes. C’est bizarre mais j’ai tout de suite su qu’ils viendraient me poser la question. Peut-être est-ce parce que je suis pharmacienne et que je connais les circonstances dans lesquelles le don d’organe est possible… Toujours est-il que je savais qu’on me le demanderait. Pour autant, j’étais dans un état pas possible, je n’étais que l’ombre de moi-même. C’est cela qu’il faut comprendre : lorsque le corps médical doit s’adresser aux familles – parce qu’ils ne peuvent pas attendre, le prélèvement doit avoir lieu rapidement – on est encore sous le choc. Mais eux doivent agir. Alors j’ai préféré prendre les devants : je suis allée voir les médecins et je leur ai dit que son père et moi étions favorables au don d’organes. J’ai vu leur soulagement de ne pas avoir à nous interroger… »
Parlez-en en famille !
Si Nicole a pris du recul au fil des années, elle a rapidement pu et voulu raconter son histoire. Dans des conférences, à la télévision… « C’est important pour moi d’expliquer ma démarche parce que finalement lorsqu’on parle du don d’organes, on entend surtout des malades raconter leur parcours de soin. Ils expliquent tous que la greffe les a sauvés. Sauf qu’on oublie l’autre versant : les familles endeuillées à qui on demande de faire un choix. Si elles refusent, il n’y a pas de greffe, il n’y a pas de guérison. Moi, je veux dire quel a été mon choix : celui d’autoriser le prélèvement sur mon fils. Car c’est une chose d’en parler à froid, ç’en est une autre de devoir s’exprimer alors qu’on vient d’apprendre le décès. C’est pour ça qu’il faut absolument que chacun en discute avec ses proches, pour que, si un drame survenait, la question soit déjà réglée et que
Se mettre du côté des malades « Je n’ai jamais regretté d’avoir accepté le don d’organes. Je sais que pour certaines personnes, c’est difficile à concevoir. Mais à chaque fois je leur dis d’imaginer ce qu’ils ressentiraient s’ils étaient du côté de ceux qui attendent un coeur, un foie, un poumon pour leur enfant. » Nicole insiste sur l’importance de parler de ce sujet. Avant d’y être confronté. « J’ai été touchée par le discours du prêtre qui a célébré l’enterrement de Jérôme. Il a évoqué le don d’organes en disant que grâce à tout cela, d’autres enfants allaient guérir. Ça m’a touchée. D’autant que j’ai reçu beaucoup de témoignages de soutien, de gens qui m’ont dit que j’avais eu raison et que s’ils étaient confrontés à la même situation, ils seraient d’accord. Je pense que dans un moment aussi dévastateur que le décès d’un proche, il faut penser aux autres, à ceux qui attendent un organe pour survivre. »
ce soit moins douloureux pour ceux qui restent. » La Niçoise dit avoir parfaitement conscience de ce qu’il se passe dans la tête de quelqu’un à qui on vient d’annoncer que son enfant, son conjoint, son frère… vient de mourir. « À ce momentlà, on n’est pas en état de réfléchir. Alors autant l’avoir fait avant. Ce qui m’importe c’est que les gens comprennent bien que le corps est traité avec le plus grand respect… mais surtout qu’à l’autre bout de la chaîne, il y a des malades qui attendent un organe pour pouvoir continuer à vivre. C’est la seule chose dont il faut se souvenir ! »
Léa, la bien nommée
À l’époque, Nicole a su que cinq enfants avaient pu être soignés grâce à ce don d’organes. «Je suis contente pour eux. Parfois, on me demande si j’ai pris des nouvelles ou si j’ai l’impression que Jérôme vit à travers eux. Non, ce n’est pas le cas. Ils ont leur vie,
j’ai la mienne. Mon fils, c’est dans mon coeur qu’il continue à vivre. » En guise de conclusion, elle raconte une anecdote étonnante : après la disparition de son enfant, elle est tombée enceinte. « Alors que je n’étais encore qu’au début de ma grossesse (et j’ignorais le sexe du bébé), j’ai entendu une nuit une petite voix qui me murmurait à l’oreille « Léa… Léa… ». C’était très étrange. Le lendemain, j’ai consulté le dictionnaire des prénoms et je me suis rendu compte que Léa était une disciple de Saint-Jérôme ! Je l’ai pris comme un signe car, figurezvous, j’ai eu une fille, et c’est ainsi que nous avons décidé de la prénommer. Elle connaît l’histoire de Jérôme et en parle avec mon premier fils Nicolas. Lui-même a raconté à ses deux fillettes que son petit frère était décédé mais qu’il avait pu sauver d’autres enfants. »