Dans la chambre à coucher
Un regret sournois m’a saisi lundi : j’aurais volontiers « couvert » le procès Daval. Voyeurisme ordinaire, évidemment. Le mal est répandu, à en juger par les heures d’antenne que ce procès génère et l’intérêt qu’il suscite. Cette semaine, on en parle presque plus que de la Covid. C’est dire… L’attrait pour les grands dossiers criminels n’est pas nouveau. Ils appuient sur des ressorts émotionnels très profonds. En temps normal, ceux-ci sont nourris par les séries policières qui saturent désormais les écrans, autour de scénarios de plus en plus torturés, jusqu’à l’abracadabrantesque. Quand la fiction prend chair, la curiosité morbide s’affole. L’affaire Daval, pourtant, est horriblement commune : en 2019, 146 femmes ont été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Le dossier ne recèle même pas l’insondable charge mystérieuse d’une affaire Grégory ou Marie Besnard. A quelques degrés d’acharnement et de préméditation près, qui restent à évaluer, la cause est déjà entendue. Mais le drame graylois déborde du cadre criminel. En nous introduisant sans effraction dans l’intimité d’un couple d’une banalité aiguë, pareil à tant d’autres, il nous interroge sur une société à fleur de peau, où la violence est de moins en moins contenue. Ça ne rassurera personne, mais il faudra sans doute se rendre à l’évidence : malgré le penchant des experts à voir en lui un manipulateur pervers pour expliquer l’inexplicable, Jonathann est plus sûrement un homme qui a perdu les pédales et cédé à un coup de folie. C’est plus dérangeant, car cela questionne chacun d’entre nous sur le passage à l’acte : pourrions-nous, sur un accès de rage, commettre l’irréparable ? Sommes-nous tous des tueurs en puissance ? Serions-nous capables, face à l’injustifiable, d’affronter notre responsabilité ?
Sans aller jusqu’à ces extrémités, cette histoire nous tend le miroir d’une société en pleine confusion. Les unions se font et se défont comme un plat au micro-ondes ; les familles se composent, se délitent et se recomposent à la fortune du pot. Jonathann Daval porte à un paroxysme tragique les cahots du couple moderne, installé sur des sables mouvants et tiraillé par les injonctions contradictoires de la virilité et de la fusion des genres. Les problèmes croissants d’infertilité n’arrangent rien. Ils étaient jadis une fatalité dont on prenait son parti. Le droit à l’enfant devenu un dû, et que ça saute, l’impatience met la solidité des liens à plus rude épreuve encore. Cela ne peut rien excuser. L’affaire Daval n’en est pas moins le reflet exacerbé d’une société en perte de repères collectifs, et individuellement à cran.
« Jonathann Daval porte à un paroxysme tragique les cahots du couple moderne. »