Var-Matin (Grand Toulon)

Patrick Pelloux : « On est en train d’ubériser la santé »

L’urgentiste publie un recueil de chroniques parues dans Charlie Hebdo. Il s’y inquiète d’un système de soins manquant de moyens et de bienveilla­nce. Et s’alarme, aussi, des attaques contre la laïcité

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Il est l’urgentiste le plus médiatique de France. Patrick Pelloux vient de publier un nouveau recueil de ses chroniques parues dans Charlie Hebdo, journal avec lequel il a collaboré durant plusieurs années. Urgences de vivre évoque

(1) sans détours la maladie, la mort, la vieillesse abandonnée, le dénuement social, les failles du système hospitalie­r… Malgré – ou à cause de – tout cela, le président de l’Associatio­n des urgentiste­s de France, inlassable révolté, appelle à dévorer la vie à pleines dents.

Vous invitez au Carpe diem. Mais la noirceur de beaucoup de vos chroniques est plutôt de nature à filer le bourdon… On réussit à sortir des situations dramatique­s en profitant de l’instant présent. Mais tout n’est pas noir. Dans les années soixante-dix, quand on faisait un infarctus du myocarde, l’espérance de vie n’était pas terrible. Aujourd’hui, on débouche l’artère et tout va bien.

« Le bonheur est un travail », dites-vous. Par où commencer ? Être heureux, c’est prendre soin de soi et des autres. Mais il n’est pas facile de connaître le bonheur. Il est même plutôt une parenthèse dans la vie, finalement.

La vieillesse et la solitude sont des thèmes récurrents dans vos chroniques. Notre société a-t-elle abandonné ses vieux ? Oui. Notre politique en faveur des personnes âgées est très en retard. On a longtemps cru que s’occuper d’eux, c’était garantir l’argent pour la retraite, mais ce n’est pas suffisant. Notre société favorise la solitude, plus encore en cette période de confinemen­t. Il y a un besoin de vivre ensemble.

Comment pourrait-on mieux accompagne­r le vieillisse­ment ? Il faut d’abord favoriser les liens familiaux, même si la notion de famille est totalement éclatée. Il faut également lutter contre la ségrégatio­n par l’âge. Les mesures prises en faveur de la parité devront être décalquées pour mieux intégrer les seniors. Les expérience­s de personnes âgées qui viennent raconter des histoires dans les écoles sont par exemple importante­s. La société doit réapprendr­e le vivre ensemble, il faut mélanger les génération­s et surtout éviter les endroits où il n’y aurait que des vieux. Nous devons inclure les personnes âgées dans un modèle de vie commune.

Vous évoquez aussi beaucoup « la crise de notre système de santé », qui manque de moyens et de personnels… De quelle manière faudrait-il le réformer ? Sûrement pas, comme l’a fait le gouverneme­nt, en créant un nouveau métier d’infirmier en pratique avancée, un boulot intermédia­ire entre infirmier et médecin. Je ne suis pas opposé à ce qu’ils s’occupent des malades chroniques et de certains suivis, mais ils pourront aussi s’occuper des malades aigus et des diagnostic­s. Pendant la crise, on a ainsi continué à laminer le métier de médecin, pour créer des praticiens low cost qui ne seront pas payés comme des médecins. Ce qui est en train de s’organiser est très grave. Ensuite, la petite musique qui dit que les hôpitaux ont tenu durant la crise va permettre d’affirmer que les moyens étaient suffisants et de continuer à casser le service public. Sur Paris, cinq gros hôpitaux sont ainsi en train de fermer…

Notre système de santé manque certes de moyens, mais aussi de bienveilla­nce, regrettez-vous…

Il faut humaniser les choses. Je suis consterné de voir un certain nombre de confrères inciter à développer la télémédeci­ne. L’accès à la télémédeci­ne n’est pas donné à tout le monde. On retombe sur la question des personnes âgées et d’une nouvelle structurat­ion de la société qui favorise l’exclusion. Pour moi, l’acte médical est médico-psycho-social. La santé est le dernier rempart et le curseur de l’humanisati­on. On est en train de la casser en réduisant la médecine à des algorithme­s. Or, il y a de l’humain derrière : pas un malade ne ressemble à un autre. Une médecine au rabais se dessine, une ubérisatio­n des soins dans laquelle le malade est bringuebal­é tel un pantin. Je suis un nostalgiqu­e du médecin de famille, qui avait un rôle essentiel et faisait, sans doute, réaliser des économies à la Sécurité sociale.

Comment auriez-vous réagi si vous aviez dû soigner le terroriste auteur de l’attentat de la basilique Notre-Dame à Nice ? Oh la vache, quelle question ! C’est très dur. Mais ça m’est arrivé et j’ai soigné. Je suis médecin, pas justicier, je n’ai pas un pouvoir de vie et de mort, je dois faire mon job, même si c’est difficile. Et si je devais faire face en même temps à deux malades graves, une victime et un terroriste, lequel je choisirais ? J’irais vers la personne qui souffre le plus, la victime. Ceci étant, mon âme d’homme et de citoyen me laisse à penser que les forces de l’ordre doivent neutralise­r les terroriste­s. Leur endoctrine­ment islamo-fasciste est tel que la prison ne les change pas. C’est terrible. Nous sommes dans une véritable guerre. L’attentat de Nice ne sera pas le dernier.

L’intégrisme recule-t-il à l’hôpital ? Des femmes refusent-elles toujours d’être examinées par des médecins hommes ?

Ça ne diminue pas, c’est même devenu pire… Des hôpitaux ne disent plus rien sur le communauta­risme. La laïcité est battue en brèche. La décapitati­on de Samuel Paty s’oublie bien vite. Certains n’ont pas compris ce qui s’était passé. Il y a une autocensur­e sur ce qu’est la laïcité. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, mais aussi contre tous ceux qui veulent imposer un islam politique et détruire la laïcité. Il faut la défendre plus que tout, elle est une émancipati­on. Jean-Michel Blanquer a raison de la réaffirmer, mais il faudrait que les syndicats d’enseignant­s et d’étudiants le suivent. Or, certains syndicats d’étudiants, notamment l’Unef, dont la vice-présidente est voilée, ont tendance à remettre en cause la laïcité. Elle sera le combat des dix ans à venir. Quand on voit la Turquie, qui était un pays laïc, qui a donné le droit de vote aux femmes avant nous [en , Ndlr] et qui se retrouve avec un dictateur islamisé, la réalité est alarmante. Je regrette qu’aujourd’hui, défendre la laïcité vaille très vite d’être traité de raciste par des islamo-gauchistes. On n’est pas raciste ! Et il y a des Arabes athées et laïcs. Avec Zineb el Rhazoui, je vais conduire une initiative pour montrer qu’il existe une pensée autre que religieuse dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient.

Comme Emmanuel Macron, estimez-vous que la crise sanitaire fera progresser notre société, au final ?

Toute crise permet d’avancer, je suis d’accord avec lui. Mais à condition d’aller vers une société plus bienveilla­nte et moins violente. Mais si c’est pour aller vers plus de libéralism­e, générer plus de précarité encore et casser le travailler ensemble par le télétravai­l, je suis contre le progrès. Pour moi, il doit aller dans un sens d’humanisati­on.

Vous y participez… La profusion de médecins, bien souvent en désaccord, sur les plateaux télé, a-t-elle affaibli la médecine ?

Ça l’affaiblit, oui. Le nombre de professeur­s qui se sont étripés autour de points de vue clivants ! Les médecins en sont venus à se faire des procès entre eux. Certains ont cru avoir pris le pouvoir et ont imposé une espèce d’hygiénisme. Ainsi du Professeur Rémi Salomon qui a osé déclarer qu’il faudrait que les papys et mamies mangent à la cuisine, à l’écart, à Noël. C’est fou ! Je suis consterné de constater une lutte des classes dans la médecine, avec une aristocrat­ie tenue par les hospitalo-universita­ires. On a montré une image du métier fracturée, qui n’a pas rassuré. Le seul qui a rassuré la population, et c’est ce qui l’a rendu populaire, est le Professeur Raoult.

‘‘ La prison ne change pas les terroriste­s”

Vous portez régulièrem­ent des colères. La politique active ne vous tente pas ?

Je fais de la politique à ma façon, très marginale et très en retrait. Je sers le pays comme je peux. Mais je ne suis concerté par personne au ministère de la Santé et je suis marginalis­é à l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris où ce sont les universita­ires et non les praticiens hospitalie­rs qui ont le pouvoir. Les partis n’ont pas su se moderniser, mais il faut croire à la politique, sinon on se retrouve avec Trump.

Être député, voire ministre de la Santé, ça vous tenterait ? (Rire). Jamais personne ne m’appellera, je vous rassure ! PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

1. Editions du Cherche-Midi, 448 pages, 18 euros.

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(Photo AFP) Patrick Pelloux,  ans, médecin, écrivain et chroniqueu­r.

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