Goulven, l’homme de fer
Posés sur une table, les carnets de Voyage avec un âne dans les Cévennes de Robert Louis Stevenson. Envie d’évasion inscrite dans les gènes de cet artiste hors normes. À plus de 70 ans, Goulven reste insaisissable dans le rapport qu’il entretient avec l’acier et le feu. Incompris ? Sûrement… Inclassable ? Également. Mais libre, résolument.
Lui, le « rêveur des navires » (du nom d’une de ses sculptures) se laisse inspirer par l’humain… « Sans savoir comment puisque je ne suis pas un artiste figuratif… »
Il nous reçoit dans son atelier, sur les hauteurs de Toulon. Sur le pas de la porte, des plaques de tôle brute non décapées. « Elles sortent des hauts fourneaux, et elles se solidifient rapidement, ce qui leur donne cette pellicule bleutée », explique l’artiste qui la travaille avec de « l’outillage rudimentaire » comme il le décrit lui-même : «un poste à souder à l’arc, une disqueuse ». Manque juste un peu de lumière pour se rendre compte de l’effet. Dehors, le temps est à l’orage. On visite les lieux, en se retenant de laisser glisser les doigts sur les oeuvres entreposées çà et là, comme autant d’étapes dans la carrière de l’artiste.
Goulven ne saurait dire comment il est devenu sculpteur. «On devient tous quelque chose, lâche-t-il, philosophe… J’ai toujours aimé la matière ». Il y plonge vers 25 ans, lorsqu’il arrive à Toulon. Né en 1949 d’un père breton et d’une mère parisienne, Goulven a jusquelà eu « un parcours atypique » , résume-t-il sobrement.
« Bonne façon de me fatiguer »
Ses premiers travaux ? Des bijoux plutôt, « que moi je considérais comme des sculptures… » S’il obtient quand même une reconnaissance dans l’univers du bijou contemporain au début des années quatre-vingt, il décide d’arrêter pour passer à autre chose.
Et la tôle finalement, répond aussi à son besoin de dépense physique. « Pour que le cerveau fonctionne comme il faut, j’ai trouvé la bonne façon de me fatiguer… » ajoute-t-il en souriant.
Ses premières sculptures, assez baroques et tourmentées, ont évolué vers des lignes épurées, fines. De la majesté de la ligne et de la matière sous tension.
« Le travail, on a du mal à s’y mettre mais une fois que l’on est dedans, on n’y pense plus. »
Il joue de la matière comme un metteur en scène avec ses comédiens, veut en obtenir le meilleur.
« C’est comme si j’avais besoin de la faire “parler”, de la laisser s’exprimer ». Pour cela, il use d’une technique sur l’envers du métal : «àla disqueuse je trace un sillon, droit ou sinueux. Cela provoque une faiblesse dans la plaque de tôle, que je retourne ensuite pour la plier suivant le tracé… »
Un travail qui contraste avec certaines oeuvres de ses débuts comme cet exemplaire de banc aux courbes arrondies, dont les points de soudure sont comme autant de points de suspension…
Il a mis à profit l’enfermement forcé du printemps dernier pour retravailler autour des masques et des visages. «Je l’avais fait autrefois, avoue-t-il .Et là, j’ai toujours été intéressé par les visages. La rencontre, les émotions qui se lisent, cela me passionne. Le confinement, la crise sanitaire nous l’interdit du coup, en portant un masque… Cela nous donne l’occasion de nous intéresser davantage aux regards que l’on croise… »
Des masques et des bas-reliefs en tôle de laiton cette fois. « Je vous parle de la pliure, de la contrainte etc, explique-t-il. Mais rien ne m’empêche de partir dans autre chose… » Art multiple dans ses formes. C’est sans doute pour cela qu’il n’a jamais fait partie du marché de l’art. « Pour ne pas être inféodé à un genre, voyez-vous...»
Des planches de chantier
Du coup, il se permet toutes les expériences autour du matériau Comme ces arcs, avec lesquels il travaille sur la tension, mais plus dans la plaque de tôle cette fois. « La sculpture est dans la corde de l’arc », ajoute-t-il, pour expliquer ce labeur jamais présenté encore… Lui qui, à de nombreuses reprises, a répondu aux demandes d’architectes, joue à l’envi des grands formats comme des petits, du sens premier des objets. Revisiter un vase ? Il pense encrier d’écolier et le décore du pupitre d’antan, en tôle cependant. Aujourd’hui, il travaille aussi le bois. En témoignent ces oeuvres réalisées dans une planche de chantier, formes à lecture abstraite sur lesquelles il a, aussi, « laissé la place à l’accident ».
‘‘ Il faut laisser la place à l’accident... ”