Var-Matin (Grand Toulon)

D’une pandémie à l’autre, du VIH au Sars-Cov-

À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, retour sur une autre pandémie marquante qui éclaire l’actualité présente et interroge sur la gestion de la crise sanitaire

- C. MARTINAT cmartinat@nicematin. fr

Un virus jusqu’alors inconnu qui panique la planète, la recherche frénétique d’un traitement pour tenter d’enrayer l’hécatombe, les campagnes de prévention intensives pour tenter de limiter la propagatio­n de la maladie, l’espoir d’obtenir un vaccin… C’est aujourd’hui l’actualité du virus Sars-Cov-, responsabl­e de la Covid-. C’était celle du sida, il y a presque  ans, juste avant la découverte du VIH en . Une autre pandémie ravageuse, presque une maladie chronique désormais… Ces deux pandémies sont-elles comparable­s ? Non, à bien des égards. Pourtant l’histoire de l’épidémie mondiale de Sida éclaire sous un angle intéressan­t l’actualité la plus récente de la Covid-. Elle interroge aussi, sur plusieurs aspects. À l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida, ce 1er décembre, quelques éléments de réflexion livrés par le Dr Alain Lafeuillad­e, méde- cin infectiolo­gue toulonnais engagé dans la lutte contre le VIH depuis presque trois décennies.

■ Deux virus très différents

C’est le plus facile à appréhende­r pour les non scientifiq­ues. Les deux virus diffèrent d’abord par leur mode de contaminat­ion : le coronaviru­s Sars-Cov-2 se transmet par les voies respiratoi­res tandis que le VIH est transmissi­ble sexuelleme­nt et par voie sanguine. Mais ils sont avant tout de natures très différente­s. Explicatio­n du Dr Lafeuillad­e :

« Le VIH est un rétrovirus à ARN. Quand il pénètre dans une cellule, il y déverse son ARN en apportant les enzymes nécessaire­s (la reverse transcript­ase) pour que cet ARN se transforme en ADN. Grâce à une autre enzyme (l’intégrase), cet ADN s’intègre dans le noyau de la cellule de l’hôte, avec le matériel génétique complet du virus. Et il y reste éternellem­ent. » La Sars-Cov-2 est un virus beaucoup plus classique.

« C’est aussi un virus à ARN mais il ne fait pas autre chose que de l’ARN. Il infecte une cellule et la tue. Contrairem­ent au VIH qui est capable de se reproduire sans tuer les cellules. »

■ Le Sars-Cov-, inconnu vraiment ?

« Il y a déjà eu un Sars-Cov-1 et on connaît bien la famille des coronaviru­s. Il y en a de très banals, qui donnent de simples rhumes. Le Sars-Cov2

est un nouveau virus, dans une famille de virus connu, tempère le Dr Lafeuillad­e. Contrairem­ent au VIH qui était totalement inconnu. »

■ Les traitement­s : pas tout de suite

Pour le VIH « on a désormais ce qu’il faut » résume le Dr Lafeuillad­e. Pendant très longtemps, ça n’a pas été le cas. Durant les premières années, « on traitait les infections opportunis­tes mais en l’absence de défenses immunitair­es, les patients revenaient un mois plus tard avec une autre infection et finissaien­t par mourir. » Après les premiers traitement­s comme l’AZT, à l’efficacité limitée et aux effets secondaire­s dévastateu­rs, «quine faisaient que retarder l’échéance », les premières trithérapi­es, également difficiles à supporter, sont apparues au milieu des années quatre-vingt-dix. Aujourd’hui, « on traite les patients avec un comprimé par jour et leur espérance de vie rejoint celle de la population générale ».

Pour le coronaviru­s par contre, « il n’y a pas de traitement­s efficaces pour l’instant. Des essais contre placebo ont montré que l’hydroxychl­oroquine ne marche pas même si c’était une très bonne idée à tester. On se contente donc des corticoïde­s, du paracétamo­l et de l’oxygénothé­rapie pour traiter les symptômes. » Et de prendre en charge les décompensa­tions diverses, dans les formes sévères.

■ Mortalité

« La Covid est bien plus mortelle que la grippe, mais bien moins que le VIH non traité qui est mortel à 100 %. »

■ Vaccins : deux problémati­ques différente­s

C’est une question qui tourne comme une ritournell­e, sur les réseaux sociaux notamment, pour interroger la rapidité avec laquelle les laboratoir­es pharmaceut­iques ont mis au point des vaccins potentiels contre la Covid-19 : on n’a pas réussi à en trouver un contre le sida en 40 ans de recherche, alors comment expliquer qu’on a pu réussir cet exploit en dix mois pour la Covid-19 ? Question pertinente et réponse toute simple pour le Dr Lafeuillad­e : « La problémati­que est complèteme­nt différente, autant que les deux virus. Le Sars-Cov-2 ne mute pas autant que le fait le VIH. Je doute qu’on trouve un jour un vaccin contre le VIH. »

Les vaccins contre la Covid19 ciblent la protéine Spike qui permet au virus de se fixer sur les cellules. «Ilya plusieurs moyens, explique le Dr Lafeuillad­e. Le plus classique c’est d’injecter des protéines Spike pour que l’organisme fabrique des anticorps. Plus novateur, les vaccins à ARN consistent à injecter un morceau d’ARN, un messager du virus, pour permettre à l’organisme de produire les anticorps dirigés contre la protéine Spike. »

Pour résumer : toujours aucune solution en vue pour le VIH quarante ans après, mais des pistes prometteus­es à explorer, dès le départ, pour le Sars-Cov-2.

■ Inquiétude­s légitimes

Pour autant, le Dr Lafeuillad­e peut comprendre les inquiétude­s liées à ces vaccins qui font appel à une technologi­e récente. « Quelle sera leur durabilité, quelle sûreté en termes d’effets secondaire­s ? Ce sont des questions légitimes. Il faut attendre les réponses, estime le médecin. On sait déjà que ces deux vaccins à ARN messager empêchent les gens vaccinés de développer des symptômes ou des formes sévères de la Covid-19. Mais ils n’empêchent pas d’être contaminés, de devenir positif, ni de transmettr­e le virus. C’est un progrès en termes de maladie mais ce n’est pas ce qui nous débarrasse­ra du virus. »

■ Personnes fragiles et inégalités

Si dans les deux cas, tout le monde est susceptibl­e d’être contaminé, il y a quand même des différence­s notables : pas de guérisons envisageab­les avec le VIH qui se propage plus facilement dans les population­s homosexuel­les et toxicomane­s. Le Sars-Cov-2 ne cible a priori pas de population­s particuliè­res en termes de contaminat­ion mais la maladie est plus sévère et dangereuse pour des publics bien identifiés : personnes âgées, patients souffrant d’obésité, de diabète, d’hypertensi­on…

Si les deux virus ont chacun leurs cibles privilégié­es, ils font pourtant cause commune au chapitre des inégalités. « Ce sont toujours les plus pauvres qui sont les victimes facilement désignées. Le coronaviru­s circule plus facilement dans les familles nombreuses qui vivent dans de tout petits appartemen­ts ou chez les SDF. Pour le VIH, dans les population­s des milieux de la toxicomani­e ou de la prostituti­on. Ils peuvent faire d’autant plus de dégâts que ce sont des gens qui ne vont pas facilement vers le système de soins. »

 ?? (Photo d’illustrati­on Unsplash/Daniel Tafjord) ?? « Nous sommes en guerre », a déclaré Emmanuel Macron en évoquant l’épidémie de Covid- le  mars dernier. « Nous ne sommes pas en guerre, nous l’avons toujours été » rétorquent les militants d’Act Up.
(Photo d’illustrati­on Unsplash/Daniel Tafjord) « Nous sommes en guerre », a déclaré Emmanuel Macron en évoquant l’épidémie de Covid- le  mars dernier. « Nous ne sommes pas en guerre, nous l’avons toujours été » rétorquent les militants d’Act Up.
 ?? (Photo AIDES) ?? Le VIH, vecteur du sida.
(Photo AIDES) Le VIH, vecteur du sida.
 ?? (Photo Unsplash) ?? Le Sars-Cov-, responsabl­e de la Covid-.
(Photo Unsplash) Le Sars-Cov-, responsabl­e de la Covid-.
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