Var-Matin (Grand Toulon)

Grand corps malade

- de DENIS JEAMBAR Journalist­e et écrivain edito@nicematin.fr

On ne peut, évidemment, tirer du tabassage du producteur noir Michel Zecler par quatre policiers – tous désormais mis en examen, deux d’entre eux étant placés en détention provisoire – un jugement global qui disqualifi­erait l’ensemble de la police française. Cette généralisa­tion pratiquée par certains est injuste. Néanmoins, en s’en tenant à la seule théorie des brebis galeuses, on se prive de s’interroger sur le fonctionne­ment réel de notre police. Réduire ce sujet à l’article  de la propositio­n de loi de sécurité globale, très justement controvers­é pour sa mise en cause de la liberté d’informer, c’est aussi passer à côté d’un sujet beaucoup plus vaste. Présentant, le  juin , une réforme des corps et des carrières de la police nationale, adoptée par décret le  décembre suivant, Dominique de Villepin, alors ministre de l’Intérieur, déclarait : « C’est la police des vingt années à venir que nous allons mettre en place. » Il ne se trompait pas, ce texte produit encore ses effets mais pas du tout ceux espérés par le flamboyant ministre. On plonge là dans les arcanes de l’administra­tion et les choses n’y sont jamais simples. Sans entrer dans les détails, il s’agit alors – louable intention de départ – d’offrir à tous les corps de police, de bas en haut de l’échelle, des avancées en termes de promotion et de réorganisa­tion. La maison police est bel et bien réformée du sol au plafond pour y rendre l’organisati­on hiérarchiq­ue plus efficace, développer les compétence­s des agents, leur encadremen­t quotidien, renforcer les capacités managérial­es, conforter la motivation des fonctionna­ires de police en reconnaiss­ant leur profession­nalisme et leurs mérites, récupérer du potentiel pour une gestion plus rigoureuse du temps de travail, moderniser la gestion des ressources humaines. On le sait l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. Le projet est ambitieux, son exécution s’avère catastroph­ique. On édifie une cathédrale technocrat­ique qui bouleverse tout et rend à l’arrivée la police plus médiocre. Entre le sommet qui se bureaucrat­ise et la base qui s’affaiblit, les courts-circuits se multiplien­t. Tout le monde monte certes dans la hiérarchie mais le socle de la pyramide devient si étroit qu’on décide de le renforcer et de recruter sans être trop regardant. Ainsi peut-on devenir adjoint de sécurité, au bas de l’échelle, en ayant obtenu  sur  de moyenne au concours d’entrée. Pour aller vite, on raccourcit aussi les formations. Bref, on bouleverse le modèle de sécurité publique en le bureaucrat­isant par une idéologie managérial­e, en y abaissant le niveau d’exigence, en y cassant les chaînes de commandeme­nt. Tout, peu à peu, se déglingue au point de laisser bien des policiers livrés à eux-mêmes. Avec les conséquenc­es que l’on voit aujourd’hui. La police est devenue un grand corps malade.

« On le sait l’enfer est souvent pavé de bonnes intentions. »

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