Var-Matin (Grand Toulon)

Thérapeute version pop

Producteur à succès dans la musique et également thérapeute, il est derrière le compte Instagram @BalanceTaP­eur. Il vient de publier le livre Les 21 peurs qui empêchent d’aimer.

- PROPOS RECUEILLIS PAR JIMMY BOURSICOT jboursicot@nicematin.fr

C’est ce qu’on appelle être multicasqu­ettes. À 35 ans, Angelo Foley partage son quotidien entre plusieurs mondes. La musique est entrée en premier dans son existence.

Après avoir tenté de percer, en vain, sur le devant de la scène, il est devenu un producteur prisé, ayant réalisé des albums et des EP pour Christine and The Queens, Grand Corps Malade, Thérapie Taxi ou encore Eddy de Pretto, ainsi que des bandes originales pour le cinéma.

Le natif de Puteaux est toujours actif dans ce domaine, il vient notamment de plancher sur le prochain album du rappeur Georgio. Mais depuis quelques années, son centre de gravité a basculé. Devenu thérapeute, il s’est signalé en créant le compte Instagram @BalanceTaP­eur. Un espace de parole où plus de 66 000 abonnés s’épanchent sur ce qu’ils osent rarement dire aux autres ou s’avouer à eux-mêmes.

Après avoir creusé les différente­s thématique­s au travers d’une série de podcasts, Angelo Foley les aborde en version longue dans un ouvrage intitulé Les 21 raisons qui empêchent d’aimer. Il nous le présente ici.

Pourquoi avoir lancé @BalanceTaP­eur en  ? L’idée, c’était de ralentir, d’éviter le côté instantané d’Instagram, où on passe très vite d’une image à l’autre. J’avais envie de faire de longs textes, qui peuvent concerner les autres et les faire réfléchir. Pour essayer, pourquoi pas, de faire un pas de côté, de repenser les choses.

Publier un livre, c’était un objectif clair dès le départ ? Assez vite, je me suis rendu compte que certains sujets ne pouvaient décemment pas être traités en un nombre limité de caractères. J’ai voulu prolonger l’expérience, j’ai lancé un podcast d’une heure. Un peu comme une heure de séance dans un cabinet. C’était déjà une façon de prendre mon temps. Et finalement, j’ai vu l’intérêt de sortir de l’environnem­ent du smartphone. Un bon vieux livre, c’est une expérience de « soi à soi ».

Comment avez-vous fait la jonction entre le monde de la musique, très concurrent­iel, pétri d’ego, et celui de la thérapie ?

Dans la musique, j’ai cherché la notoriété, puis à être le meilleur producteur, à bosser avec les meilleurs artistes. Et je me suis rendu compte que je n’étais pas heureux. De l’autre côté, j’ai toujours pris le temps de parler en amont avec les artistes, les rencontrer. En général, ça ne sert à rien de m’envoyer des maquettes. Leur musique, je vais peut-être l’écouter en dernier. Je veux d’abord savoir qui ils sont. Dans les deux domaines où j’évolue, l’aventure humaine est primordial­e. Boris Cyrulnik en parle très bien, il dit que l’art est un vecteur de résilience très fort. Même si ça a très bien marché pour moi en tant que producteur, j’ai quand même connu des déceptions et pris des claques dans la gueule. Cela a d’ailleurs été un des sujets principaux de mon début de thérapie personnell­e. J’avais connu des choses difficiles à digérer pour moi avec Christine and The Queens. Il m’a fallu près de six ans pour y parvenir.

Qu’est-ce qui vous a poussé à orienter le propos sur l’acte d’aimer ?

Les peurs qui revenaient le plus souvent dans les messages que je recevais étaient liées à l’autre, à la relation. Même si ce n’est pas un livre sur l’amour, je trouvais que ce serait pas mal d’aborder la relation que ce soit à la famille, aux amis, dans le travail, et surtout dans l’intimité. Ces  peurs, ce sont des déclinaiso­ns de ce qui peut se jouer dans la relation à l’autre.

Parmi toutes ces peurs, y en a-t-il une qui vous semble incontourn­able ?

Sans doute la peur d’être jugé, l’impact que peut avoir le regard de l’autre, à commencer par nos parents, puis tous les autres. Ce qui est difficile pour l’être humain, c’est d’être soi-même avec l’autre, d’être vraiment ensemble. Dans nos différence­s, nos nuances. Parce qu’il y a toujours une peur de perdre la filiation, l’appartenan­ce à un groupe ou une famille. Il faut tout le temps jongler entre se différenci­er et se reconnaîtr­e. Aujourd’hui, avec Internet et les réseaux sociaux, la narcissisa­tion provoque beaucoup d’anxiété.

Vous déplorez d’ailleurs cette injonction permanente à avoir « la meilleure vie » propagée sur les réseaux sociaux... Parfois, on fait des efforts intenses pour atteindre un objectif assez flou, et ça produit l’effet inverse. Notre consommati­on des réseaux sociaux tourne souvent autour d’une exposition du bonheur. Qui serait chez les autres et pas chez moi. Il y a comme une normalisat­ion du bonheur, qui réveille aussi beaucoup d’indignatio­n. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas dans le sens de la liberté d’être de chacun.

Dans votre livre, vous expliquez que peu d’hommes se livrent en message privé sur @BalanceTaP­eur...

Sur le compte Instagram,  % d’hommes publient. Au cabinet ou lorsque je mène un atelier, ce sont à peu près les mêmes proportion­s. La plupart des hommes, même si je n’aime pas faire de généralité­s, ont du mal à parler d’eux-mêmes et de leur intimité, à se rendre vulnérable­s. Mais aussi la capacité à mettre des mots sur des émotions. Ce n’est pas qu’une question de mauvaise volonté.

Dans votre palette de thérapeute, quelle place occupe votre compte Instagram ?

Dès le départ, je me suis refusé à faire de la thérapie sauvage sur Instagram, auprès de gens qui ne font pas une démarche concrète, dans un cadre nécessaire pour une thérapie ou une analyse. Il y a des tendances, beaucoup de messages abordent des situations assez similaires. Quand je les reçois et les trie, je me demande d’abord comment ça fait écho à une expérience que j’ai pu connaître, quels apprentiss­ages j’en ai tirés, etc. Comme dans le domaine de la musique, d’un particular­isme, on fait souvent quelque chose de très universel.

Vous écrivez : « Aimer, par essence, c’est lâcher prise »... Complèteme­nt. Dans l’amour que j’imagine, idéalisé et fantasmé, il y a cette idée de totale acceptatio­n. On souffre parce qu’on bute sur les choses, on ne les accepte pas comme elles sont et notre sens moral entre tout le temps en compte.

‘‘ Dans l’amour que j’imagine, idéalisé et fantasmé, il y a cette idée de totale acceptatio­n”

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Les  peurs qui empêchent d’aimer. Éditions Albin Michel.  pages. ,

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