Var-Matin (Grand Toulon)

Patrick Lefebvre : « Un retrait du Mali serait dramatique »

Alors que la mort de deux militaires relance le débat sur la présence française au Mali, cet ancien général de l’armée de l’air met en garde : quitter le pays laisserait le champ libre aux djihadiste­s

- PROPOS RECUEILLIS PAR P.-L. PAGÈS plpages@varmatin.com

Désormais en poste à la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es (il est le directeur des sessions méditerran­éennes des hautes études stratégiqu­es), le général de corps aérien Patrick Lefebvre connaît bien la bande sahélo-saharienne. C’est au Tchad, dans le cadre de l’opération Épervier que cet ancien pilote de l’armée de l’air a fait ses débuts en 1985. Trente ans plus tard, en 2015, devenu inspecteur des armées, il avait inspecté l’opération Barkhane. Alors que cinq militaires français ont récemment perdu la vie au Mali, il revient sur la présence de l’armée française au Sahel.

La mort de deux militaires le  janvier dernier (ce qui porte les pertes françaises au Mali à  soldats), justifie-t-elle de remettre en question notre présence au Sahel ?

Il est normal qu’on se pose un certain nombre de questions sur le bien-fondé de l’opération Barkhane, qu’on cherche à savoir si son mode d’action est bien adapté – ce qui est le cas. Mais pour en revenir aux pertes françaises : chaque mort est bien sûr dramatique, mais, au risque de paraître cynique,  morts depuis le début de l’interventi­on française au Sahel en , ça reste extrêmemen­t faible. Malgré tout, ça marque les esprits chez nous en France. Et c’est ce que recherchen­t les groupes armés djihadiste­s (GAD) qui tirent les dividendes de chaque nouveau soldat français tué.

Au-delà de ce décompte macabre, le bilan de l’opération Barkhane est-il satisfaisa­nt après  ans ? Lancée en janvier  pour répondre à l’appel au secours des autorités maliennes, l’opération Serval a été remarquabl­ement menée. Elle a stoppé net les GAD (et les rebelles Touaregs, alliés de circonstan­ce) qui, venant du Nord, menaçaient Bamako. L’opération Barkhane qui lui a succédé à l’été  n’a pas pour vocation de rester ad vitam aeternam. Son objectif est de rétablir la sécurité au Mali, et plus largement dans la bande sahélo-saharienne(), notamment dans la zone dite des « trois frontières() ». En attendant que les forces maliennes, formées par la Mission de l’Union européenne (EUTM), aient les moyens de prendre le relais. De ce point de vue, les choses ne vont pas aussi vite qu’on pouvait l’espérer. En termes de sécurité, les objectifs n’ont pas encore été atteints. D’où les critiques, même au Mali. Je dirais qu’on est au milieu du gué. Mais j’insiste : le travail réalisé par Barkhane a permis d’éviter le pire.

Est-il souhaitabl­e que l’armée française se retire dans un proche avenir ? Non, il est beaucoup trop tôt. Les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Si l’armée française se retirait aujourd’hui, cela ruinerait les acquis des huit années de notre présence. Partir dans les conditions actuelles constituer­ait une opportunit­é formidable pour les GAD de prendre la place et d’installer un état islamique.

Cela aurait des conséquenc­es dramatique­s pour les pays de la bande sahélo-saharienne. En empêchant cela, la France défend aussi ses intérêts car, pour reprendre la formule de l’amiral Prazuck, ancien chef d’étatmajor de la Marine, notre défense commence au large.

La ministre des Armées Florence Parly a maintes fois répété « la solution au Mali n’est pas que militaire ». Sur le plan politique, des négociatio­ns avec les groupes armés djihadiste­s sont-elles inéluctabl­es ?

La ministre des Armées a raison : la solution militaire est temporaire. Il faut qu’une bonne gouvernanc­e, qui rassemble le peuple malien en prenant mieux en compte les gens du Nord, se mette en place. Pour autant, entreprend­re des négociatio­ns avec les GAD me semble très risqué et totalement injustifié. Par leur stratégie de harcèlemen­t, ils marquent des points. Ils espèrent ainsi s’inviter à la table des négociatio­ns. Mais il n’y a aucune raison d’entrer dans leur jeu. Il y a certes une vraie fragilité dans la zone des « trois frontières », mais les GAD ne sont pas aussi puissants qu’on veut bien le dire.

Pour éviter d’exposer nos soldats, ne pourrait-on pas se contenter d’utiliser des drones armés ?

On utilise déjà des drones Reaper depuis la base de Niamey au Niger. Pour du renseignem­ent ou pour éliminer des groupes terroriste­s dans des frappes ciblées.

Mais que ce soit pour s’assurer de l’identité des personnes à éliminer, ce qu’on appelle PID (positive identifica­tion) dans notre jargon, ou pour

« illuminer » ces cibles, il faut des hommes sur le terrain. Toutes les composante­s militaires – dont la force Barkhane – ont leur utilité pour rétablir la sécurité au Mali. En parallèle, il faut bien évidemment explorer les voies politiques et économique­s, accompagne­r les population­s sahélienne­s pour gagner les coeurs et les esprits.

1. La bande sahélo-saharienne comprend outre le Mali, le Tchad, le Niger, le Burkina Faso et la Mauritanie.

2. Zone géographiq­ue, épicentre des violences au Sahel, où se rencontren­t les territoire­s du Mali, du Niger et du Burkina Faso.

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