Le N°5 de Chanel a-t-il été conçu à Cannes ?
C’est au coeur des usines Rallet, lieu de rencontre entre « Coco » Chanel et le nez Ernest Beaux, qu’a probablement été créé le plus célèbre parfum au monde
Il suffit parfois de si peu de temps pour entrer dans la légende… En 1917, la maison de parfums Rallet rachète le site de son homologue Jeancard dans le quartier de la Bocca, à Cannes, près de l’ancienne verrerie Barthélémy. Un moyen, pour cette entreprise fondée à Moscou en 1843, de fuir la nationalisation des entreprises, conséquence de la Révolution russe. Huit ans plus tard, en 1925, terrains et bâtiments seront cédés aux Aciéries du Nord. Entre-temps ? Les usines Rallet ont, probablement, été le lieu de confection de l’un des plus grands trésors nationaux qui soient : le N°5 de Chanel. On dit probablement car, comme l’explique Marie-Hélène Cainaud, directrice des archives municipales de Cannes, on est dans « le secret industriel. Les usines ne révélaient pas ces choses-là ». Mais les « nombreuses concomitances » laissent à penser que la rencontre décisive entre Gabrielle
« Coco » Chanel et le nez Ernest Beaux a bien eu lieu en terres cannoises.
En , « Coco » avait son atelier sur la Croisette
Déjà en haut de l’affiche, la révolutionnaire créatrice de mode prend une location dans la ville Numa Blanc – « un photographe des stations balnéaires de la Côte d’Azur et de la côte Atlantique », précise Marie-Hélène Cainaud – et y installe un atelier. Nous sommes en 1920 et, par l’intermédiaire de celui qui est alors son amant, Dimitri Pavlovitch, grand-duc de Russie, « Coco » va faire une rencontre décisive. Celle d’Ernest Beaux, « l’un des nez les plus prestigieux de son temps ». Directeur technique de la maison Rallet depuis 1907, il s’installe, à son retour de la guerre en 1919, dans les usines de La Bocca.
Les deux étoiles se croisent alors. « Coco » commande à Beaux « un parfum de femme à odeur de femme » . Il lui présente deux séries d’échantillons, numérotées de 1 à 5 et de 20 à 24. Devinez celui qu’elle choisit… Car l’originalité de ses fragrances s’écarte de celles alors en vogue. Et pour cause… Depuis 1898, alors apprenti dans l’usine moscovite déjà – d’où le lien avec Dimitri Pavlovitch – Ernest Beaux avait démarré ses expérimentations avec les aldéhydes, essences de synthèse. « C’était une composition spéciale et nouvelle, entre composition florale classique et produits de synthèse », détaille Marie-Hélène Cainaud.
Ernest Beaux quitte Cannes un an après
Lors d’un dîner, toujours à Cannes et en présence du nez, « Coco » Chanel va tester le parfum. Dès que quelqu’un passe à proximité, elle appuie sur le vaporisateur placé sur la table. « L’effet fut stupéfiant , raconta-t-elle alors. Toutes les femmes, en passant près de notre table, s’arrêtaient, humant l’air. »
Le 5 mai 1921, jour de la présentation de sa collection, le parfum est lancé dans la boutique de la rue Cambon, à Paris. Dès 1929, le N°5 deviendra le plus vendu au monde et le restera des décennies durant. Aujourd’hui encore, il occupe une place à part sur le marché. Du côté de l’usine Rallet de La Bocca, Ernest Beaux – déjà connu pour d’autres compositions – est surnommé le « ministre de la narine » ; reçoit de prestigieuses visites, parmi lesquelles celle de Winston Churchill, alors ministre de la Guerre britannique. L’année suivante, en 1922 (celle où il créera le… N°22), il quitte celle qui n’est pas encore la cité des festivals – mais, alors, un haut-lieu de la culture de la plante à parfum – pour rejoindre la capitale, où il deviendra directeur technique des parfums Chanel et des établissements Bourjois. Seulement trois ans à Cannes – où « il s’est d’ailleurs marié » – pour créer un mythe éternel…