Var-Matin (Grand Toulon)

« François Mitterrand était un aventurier politique »

L’écrivain Georges-Marc Benamou a été le confident des dernières années du Président disparu en 96. Il a raconté le crépuscule douloureux d’un monarque tortueux et caméléon

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Àl’occasion du 25e anniversai­re de la mort de l’ancien Président, les éditions Plon republient Le dernier Mitterrand, ou les deux dernières années de sa vie contées par l’écrivain Georges-Marc Benamou, qui fut à la fois le compagnon de ses dernières balades, le corps bouffé par la maladie, son mémorialis­te et, parfois, son confident. Un récit crépuscula­ire qui avait servi de trame au film de Robert Guédiguian, Le Promeneur du Champ-de-Mars, sorti en 2005, avec Michel Bouquet dans le rôle de François Mitterrand.

Que vous reste-t-il de François Mitterrand vingt-cinq ans après ? J’ai le sentiment d’être rentré dans l’intimité du « dernier des grands Présidents », comme il se qualifiait lui-même.

Il était un monarque français. Avec de Gaulle, il fait partie de cette catégorie-là.

« Je suis le dernier des grands Présidents. Après moi, il n’y aura plus que des comptables », disait-il. Pour autant, aurait-il mieux résisté que ses successeur­s à la broyeuse médiatique actuelle ? Il disait qu’il n’y aurait plus que des comptables parce que l’Europe allait changer les règles et enserrer la France, même s’il n’était pas contre l’Europe. De nos jours, sa maladie ne serait pas restée inconnue, il n’aurait pas pu avoir une vie sentimenta­le agitée, Mazarine n’aurait pas été acceptée. Les réseaux sociaux nous ont fait entrer dans une autre dimension.

De Gaulle, Mitterrand et leur place dans l’histoire… Partagez-vous l’analyse de Michel Onfray qui, dans son dernier livre, estime en gros que de Gaulle est un géant et Mitterrand un arriviste ?

De Gaulle possède un avantage historique fondamenta­l grâce au  juin . De Gaulle, c’est Jeanne d’Arc. Dans la pratique du pouvoir, je crois qu’il s’est montré parfois plus audacieux, plus réformateu­r. Et que, paradoxale­ment, Mitterrand a mieux compris les colères du pays. De Gaulle, après dix ans, a dû faire face à Mai-. Mitterrand fut finalement un meilleur monarque, qui a senti le peuple, le terrain, et ainsi évité un Mai-.

Peut-on dire que de Gaulle n’était pas vraiment de droite et Mitterrand pas tout à fait de gauche ?

Oui. On n’est pas un grand roi de France sans être les deux.

Mitterrand vient de la droite, d’une famille provincial­e charentais­e. Il évolue vers la gauche, alors que de Gaulle est un militaire qui va rompre avec la droite la plus bête. Chacun a une part de gauche et de droite en lui, comme le disait de Gaulle en  : «Ce n’est pas la gauche, la France ! Ce n’est pas la droite, la France ! Il y a l’éternel courant du mouvement qui va aux réformes, qui va aux changement­s, qui est naturellem­ent nécessaire. Et puis, il y a aussi un courant de l’ordre, de la règle, de la tradition, qui, lui aussi, est nécessaire. C’est avec tout cela qu’on fait la France. Prétendre représente­r la France au nom d’une fraction, c’est une erreur nationale impardonna­ble. »

Sur Vichy, Bousquet, vous n’avez pas réussi à le faire s’épancher. Il se fermait comme une huître…

J’ai profondéme­nt aimé Mitterrand. C’est beaucoup plus sa fréquentat­ion de René Bousquet que son passage à Vichy qui est énigmatiqu­e.

Il n’a pas été un ami intime de Bousquet, mais il l’a vu souvent. Cela fait partie des mystères de Mitterrand : la fréquentat­ion de grandes humanistes et parfois de voyous, de gens de gauche et de droite. Il était un aventurier politique, au sens de Casanova, plus que de Gaulle qui était un littéraire beaucoup plus droit. Dès le premier jour, de Gaulle a compris qu’il fallait résister, alors que Mitterrand était davantage un roseau, par tempéramen­t.

Peut-on aller jusqu’à dire qu’il n’a pas mesuré l’ampleur de la Shoah ? Non, je ne crois pas. Comme Napoléon-III, il fait partie des gouvernant­s qui ont permis l’intégratio­n des juifs dans la société française. On ne peut lui faire ce procès. En fait, il y a eu chez lui beaucoup d’orgueil. Quand ont explosé sur la place publique ces questions de Vichy et de Bousquet, il était un homme malade qui ne voulait pas céder aux injonction­s. Et il n’avait pas complèteme­nt tort quand il disait ne pas vouloir se mettre à genoux comme Willy Brandt, parce que la France n’était pas l’Allemagne pendant la guerre.

A-t-il été marri de ne pouvoir être enterré au sommet du mont Beuvray dans le Morvan ?

Oui. Cela avait été négocié, le terrain était acheté, il y avait là un projet presque gaulois de la part de Mitterrand. Il avait une mystique chrétienne, une mystique de la terre, comme les grands rois du Moyen Âge.

Et il pensait que quelque chose de très fort émanait du mont Beuvray. Pendant l’été , c’était son voeu d’y être inhumé et je l’ai vu très malheureux quand la polémique dans la presse l’a contraint à reculer. C’était une sorte de caprice, de volonté de laisser une trace géographiq­ue dans l’histoire.

En se rapprochan­t ostensible­ment de lui sur la fin, a-t-il contribué à faire élire Chirac en  ?

J’ai assisté à ce retourneme­nt. Mitterrand, qui était d’abord plus proche de Balladur, a décidé de le « tuer », il me l’a dit, en saisissant le Conseil supérieur de la magistratu­re dans l’affaire Schuller-Maréchal (). Ila « tiré le tapis sous les pieds de Balladur », selon l’expression qu’il a lui-même utilisée. Ce déclenchem­ent-là a permis à Chirac de reprendre la main. J’ai vu Mitterrand aider Chirac. Pourquoi ? Il y avait plutôt une sympathie de Mitterrand pour Balladur au début, mais leur relation s’est dégradée quand Balladur a pris toute sa place durant le cancer de Mitterrand. Ce dernier ne supportait plus qu’on parle de Président bis au sujet de Balladur. Il s’est agacé, d’autant plus qu’il pensait que Balladur misait sur sa mort.

Et il est vrai que si Mitterrand était mort avant la fin de son mandat, Balladur aurait très certaineme­nt été élu. La seconde chose est que Mitterrand, en bon vieux roi français qui se sentait responsabl­e de son successeur, avait compris que Chirac possédait une fibre populaire que Balladur n’aurait jamais.

La maladie a-t-elle altéré sa faculté à gouverner ?

J’en ai parlé avec le Dr Gubler et je n’en ai pas l’impression. Sur le plan fonctionne­l, l’État n’a pas été mis en danger. Il y a eu six mois d’immense maladie, mais aussi d’immense courage. Il passait parfois des après-midi au lit mais il assistait au Conseil des ministres. Et puis on était en cohabitati­on : Balladur gouvernait et les directeurs de cabinet de l’Élysée et Matignon s’entendaien­t très bien. L’État roulait bien. Mais cela a été un automne des tempêtes.

1. Aff faire politico- financière particuliè­rement embrouillé e touchant au financemen­t occulte du RPR, en tiroir de celle des fausses factures des HLM de Paris.

‘‘ Il avait une mystique chrétienne, une mystique de la terre”

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(Photo Bruno Klein) « François Mitterrand était un roseau, par tempéramen­t. »
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(DR) Georges-Marc Benamou avec François Mitterrand, au début des années quatre-vingt-dix.

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