Var-Matin (Grand Toulon)

Frédéric Joulian, recherches impliquées

Archéologu­e, éthnologue et éthologue, le Hyérois Frédéric Joulian croise les discipline­s pour remonter aux origines du phénomène culturel, et monte une exposition sur le washi, au Rayol .

- NATHALIE BRUN nbrun@matin.fr

Avec sa triple casquette d’archéologu­e, d’ethnologue et d’éthologue, le Hyérois Frédéric Joulian sillonne la planète depuis une trentaine d’années. Primé par l’Académie royale des sciences de Bruxelles, pour ses travaux sur la transmissi­on culturelle chez les chimpanzés, ce scientifiq­ue maître de conférence­s à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et chercheur au Centre Norbert Elias, à La Vieille Charité à Marseille, a bâti sa carrière en précurseur au croisement de ces trois discipline­s. Il a dirigé plusieurs numéros de la revue Techniques & culture. Et il s’implique aussi dans la transmissi­on, à travers le montage d’exposition­s, d’ateliers et de colloques internatio­naux, au MUCEM ou plus récemment à l’UNESCO avec « La nature pense-t-elle ? », une vaste manifestat­ion interdisci­plinaire montée avec le Japon.

Sur le terrain à Kyoto, en octobre 2019, pour étudier les techniques ancestrale­s de la fabricatio­n du washi, le Hyérois présentera une exposition au Domaine du

Rayol sur ces travaux, dès la réouvertur­e au public.

« Lucie était un singe »

« Je me posais des questions sur les origines de l’homme, et mon principal sujet de recherches, pendant des années et aujourd’hui encore, ce sont les origines du phénomène culturel. Pour comprendre ça chez les hommes préhistori­ques, l’archéologi­e ne suffisait pas. Il fallait aussi comprendre ce qu’étaient les premiers hommes, il y a trois millions d’années. Ces premiers hommes ne sont pas des hommes, ce sont de grands singes. Lucie elle a moins de 350 cm2 de capacité cérébrale, elle fait un mètre de haut : c’est un singe. Pour comprendre les premiers hominidés, il fallait se décaler...».

Il part en Afrique pour étudier les chimpanzés qui utilisent des outils en pierre, les comparent à ceux des premiers outils humains, travaille sur l’outillage des oiseaux, s’intéresse aux cétacés. Plus particuliè­rement aux dauphins ces derniers temps, toujours pour tenter de comprendre les traditions animales. « Ce sont des mammifères supérieurs qui ont des cerveaux aussi développés que les nôtres, voire plus. Si on regarde le quotient d’encéphalis­ation – le rapport entre la taille du cerveau et le volume du corps – leurs capacités sont supérieure­s à Homo sapiens. Ils ont des systèmes de communicat­ion extrêmemen­t performant­s, des comporteme­nts de réflexion hautement élaborés... Ici, nous avons le pain et le couteau pour développer une éthologie. Il y a à Toulon de grands spécialist­es, des gens qui travaillen­t sur la bioacousti­que, mais il y a encore malheureus­ement peu de recherches en matière d’éthologie .» Les interactio­ns entre les hommes et les animaux, forment aussi une part importante de ses travaux. Du Japon en Europe, où il se penche avec son équipe sur les zoos. « Ça veut dire quoi d’aller voir un panda au zoo ? Ça veut dire quoi des animaux encagés, quand on connaît aujourd’hui la souffrance animale ? J’ai beaucoup travaillé là-dessus ».

Réparer le monde

Au MUCEM, il enseigne et se passionne sur la question des restes et des déchets. « Les non dits de la société, ce qu’on rejette et qui pourtant fait aussi culture ». Le public afflue à l’exposition « Réparer le monde, excès, restes et innovation­s ». Un vertigineu­x panorama mondial de la surconsomm­ation qui fera l’objet d’une parution de 600 pages. « Il y a eu cent mille visiteurs pour venir voir les poubelles ! Ce qu’il y a derrière, pour moi, c’est qu’aujourd’hui on réinvente la roue avec l’économie des déchets, le solaire... J’ai commencé le bouquin avec deux BD de Reiser de 1973, tout y était déjà. Cinquante ans après, où est-ce qu’on en est ? C’était un coup de gueule. Aujourd’hui, on fait du ramassage de plastique sur les plages, mais les enjeux sont d’une autre nature ». Ce que ce chercheur engagé dans la cité peut aussi apporter, ce sont des perspectiv­es durables. « Des visions lointaines : comment en Afrique on vit de peu, comment on construit avec de l’argile. Dans des régions sismiques comme le Japon, avec des bambous et du bois, quel type d’architectu­re vernaculai­re on peut imaginer pour laisser le moins d’impact possible... Comment on protège les terres, comment on pense le changement climatique, comment on anticipe. Le devoir du chercheur, c’est aussi de transmettr­e ». Ses ateliers « Une autre façon de raconter » qui rassemblen­t scientifiq­ues et dessinateu­rs, notamment de BD, l’ont amené à Kyoto. Missionné par l’université Seika qui travaille sur les traditions artisanale­s et l’innovation, Frédéric est parti à la rencontre des fabricants de washi, ce papier traditionn­el japonais, fabriqué de la même façon depuis 1 500 ans. Un mangaka s’est chargé de croquer cette rencontre entre chercheurs et artisans. « Au Japon, il y a des savoirs faire techniques qui permettent de produire les meilleurs papiers du monde avec des matériaux naturels. ». Une exposition en mangas sur cette expédition est programmée au Domaine du Rayol. « L’enjeu, c’est de montrer que des savoir-faire particulie­rs traditionn­els qui permettent une qualité immense, sont aussi des modèles de durabilité. On n’a pas tout à réinventer ». « De l’eau, de la pulpe de mûrier, de la colle naturelle de la racine du Tororo-aoi, des châssis souples en bambou et fils de soie, du soleil... et l’art manuel des artisans. Le « wasa » est un mot japonais pour dire la technique, l’intelligen­ce de la main et le respect des choses et des êtres. Le whasi millénaire s’accorde donc pleinement avec les enjeux de soutenabil­ité dont notre planète a besoin sans tarder ». Importé de Chine sur l’archipel, ce papier rare, utilisé par des artisans renommés et des artistes exigeants, offre une solidité, une souplesse et une durabilité qui peuvent se prêter à de nombreux usages. Il est inscrit au patrimoine de l’UNESCO depuis . L’exposition « Washi, du mûrier au manga, l’Art du papier au Japon », programmée au Domaine du Rayol, au Rayol-Canadel, est issue de la rencontre de Frédéric Joulian et de l’expert des métiers artisanaux Yuji Yonehara. L’enquête menée en  aux environs de Kyoto et Fukui, croise de manière originale interviews, photos, vidéo et mangas. Prévue jusqu’au  mars, son ouverture a été différée en raison de la Covid.

‘‘ Le chercheur doit aussi transmettr­e”

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Un papier rare et non polluant.

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