Dernier adieu aux filles de Louis XV
Les corps d’Adélaïde et Victoire, mortes à Trieste, rapatriés à Paris après avoir reposé pendant plus d’un an à Toulon.
Les cloches sonnent en ce 7 janvier 1817 en la cathédrale de Toulon. Un glas funèbre retentit dans l’air glacé d’un matin d’hiver. Une grande cérémonie se prépare. Aux balcons flottent des drapeaux ornés de crêpes noirs et de lys blancs. Les autorités civiles et militaires se rassemblent en silence. Une messe va être dite à la mémoire des deux filles de l’ancien roi de France Louis XV, Adélaïde et Victoire. Mortes à Trieste, leurs cercueils ont reposé pendant plus d’un an en la cathédrale de Toulon et vont être ramenés à Paris pour être enterrés en la basilique royale de Saint-Denis. Toulon va leur rendre un dernier hommage.
Le navire Fleur de Lys
Les corps des deux filles royales sont arrivés à Toulon treize mois plus tôt, le 11 décembre 1815.
Ce jour-là, on a vu entrer dans le port le navire Fleur de Lys, pavillon en berne. Il venait de Trieste. Les Dames de France, comme on les appelle, étaient mortes toutes les deux dans cette ville italienne en 1799 et 1800, à quelques mois d’intervalle. Elles avaient respectivement 66 et 67 ans. Auparavant, elles avaient mené une vie de fugitives. Pendant la Révolution, elles s’étaient réfugiées à Turin auprès de leur nièce Clotilde, épouse du prince de Piémont, elles avaient ensuite été accueillies à Rome par le pape Pie VI, puis, en 1796, au moment de la campagne d’Italie de Bonaparte, s’étaient exilées à Naples où régnait une soeur de l’ex-reine de France Marie-Antoinette. Elles avaient ensuite fui en 1798 à Corfou puis à Trieste sur un bateau de fortune. C’est là qu’elles étaient décédées. Elles avaient été enterrées pendant quinze ans en la cathédrale de la ville italienne, jusqu’à ce que le roi Louis
XVIII ordonne leur rapatriement en France.
Un char blanc orné de larmes noires
L’arrivée à Toulon des corps des Dames de France, le 11 décembre 1815, donna lieu à une grande cérémonie. Les cercueils furent accueillis par le préfet maritime et Monseigneur Gallois de La Tour, évêque de Moulins, aumônier des deux Dames de France pendant leur exil. Les cercueils traversèrent la ville sur un char blanc orné de larmes noires, traîné par des chevaux caparaçonnés de blanc et des cochers vêtus de noir. Le char funèbre était entouré par la cavalerie de la Garde nationale, épée au clair. Dans le cortège qui, jusqu’à la cathédrale, emprunta la rue Bourbon (actuelle rue de la République), la rue des Chaudronniers (rue d’Alger), la place Saint-Roch et la rue Royale, avait pris place un groupe de premières communiantes en robes blanches, ceintures noires (1). Après la messe solennelle, dite par l’évêque de Moulins, les cercueils furent déposés dans la chapelle Saint-Joseph de la cathédrale. Ils y restèrent un peu plus d’un an, une messe étant dite quotidiennement à leur intention.
Vingt et un coups de canon
Nous voici donc au 7 janvier 1817. Un nouveau cortège funèbre va à nouveau traverser Toulon.
Une fois achevée la messe du matin, les cercueils sont chargés sur un char mortuaire, enfermés dans deux caisses plombées. Au moment où ils franchissent le seuil de l’église, vingt et un coups de canons sont tirés dans le port. La Garde nationale et les troupes terrestres et maritimes sont présentes. Le cortège s’avance au son des rythmes funèbres battus par les tambours recouverts de tissu noir. Les dépouilles royales traversent la ville au milieu de la foule silencieuse. L’Histoire de France défile dans les rues toulonnaises. L’Ancien Régime ressurgit au pas de la marche funèbre. La France, qui est passée par la Terreur et l’Empire, honore à nouveau la Royauté.
On atteint les murs de la ville. Dernier moment de recueillement. Les cercueils sont placés dans un carrosse attelé de huit chevaux. Derrière suit une voiture dans laquelle ont pris place Monseigneur Gallois de La Tour et les abbés de Richerie et Vigne, de la cathédrale de Toulon.
Les dépouilles royales vont traverser leur bon pays de France pour rejoindre, en la basilique de Saint-Denis, les restes de leurs ancêtres. Alors que les chevaux entament leur long périple, Toulon entend s’éloigner le trot funèbre de l’Histoire.
‘‘ Dans le cortège funèbre, les premières communiantes toulonnaises, vêtues de blanc, ceinturées de noir”
Voir le Bulletin de l’Académie du Var de l’année 1917.