« Une course étonnante… »
Détenteur du Trophée Jules-Verne - et marin aussi attachant qu’atypique - Francis Joyon se dit surpris par le niveau de performance des bateaux dits d’ancienne génération
Ce n’est pas l’homme qui prend la mer, mais la mer qui a “pris”… Francis Joyon ! Car s’il n’est pas issu du sérail, très tôt, les océans lui ont offert ce terrain de jeu dont, gamin, il avait toujours rêvé. Puis le gaillard (aujourd’hui âgé de 64 ans) s’est laissé enivrer par l’écume des records, sur ces drôles de bestiaux à trois pattes que sont les multicoques. Détenteur du Trophée JulesVerne (tour du monde sans escales et en équipage, bouclé en un peu plus de 40 jours), dernier vainqueur de la Route du Rhum, cette fois en solitaire (après sept participations et avec seulement une poignée de minutes d’avance sur François Gabart), et marin aussi taiseux que hors normes, le natif de Hanches (Eure-etLoir) se « passionne », dit-il, pour cette édition du Vendée… Dont il n’a pourtant jamais pris le départ !
Francis, ce Vendée nous réserve, pour l’instant, un scénario assez incroyable ?
Si l’on pense au niveau de performance - assez inattendu - des bateaux sans foil, et à tous ces changements de leaders, alors oui, cette course a connu pas mal de rebondissements…
Avec, aussi, assez peu d’abandons finalement… Exactement, en dépit de conditions plus difficiles que la moyenne… Mais ce qui surprend le plus, c’est le peu de différence entre les foilers et le reste de la flotte. Mais aussi le comportement de ces bateaux dits d’ancienne génération, comme celui de Jean Le Cam ou celui de Damien (Seguin), que l’on voyait a priori relégués loin derrière, mais qui restent au contact. Et puis, je suis également attentivement la course de Boris Herrmann (le Monégasque, Ndlr), qui a été mon ancien coéquipier sur le Tour du monde et avec qui on a encore pu échanger récemment.
Jean Le Cam, le doyen du plateau, qui fait mentir tous les pronostics. Et Damien Seguin, issu de la voile handisport, mais tout aussi épatant : deux histoires qui nourrissent la légende de cet Everest de la mer, non ? Évidemment ! Ils prouvent, l’un comme l’autre, que la volonté, l’envie et la passion sont encore capables de faire la différence. C’est la preuve que même si on n’a pas le meilleur bateau, ou que l’on souffre d’un handicap, on peut quand même aller au bout de ses rêves.
Vous-même n’avez jamais participé à cette circumnavigation…
C’est même pire que ça, puisque je n’ai jamais mis les pieds sur un bateau du Vendée Globe !
En tant que marin et grand défricheur d’océans, ça n’est pas un regret ? Bien sûr. J’ai malgré tout failli naviguer avec Bernard Stamm, mais ça ne s’est pas goupillé comme il l’aurait fallu ! Maintenant, si l’occasion s’était présentée, j’aurais aimé voguer sur ces bateaux…
Il est vrai que, très vite dans votre carrière, vous avez fait le choix du multicoque…
C’est ça ! Et on évolue dans des milieux finalement assez cloisonnés…
Tout au long de votre vie de skipper, quels ont été les moments les plus forts que vous ayez vécus ? Pour les pires, ce sont évidemment toutes ces avaries et ces chavirages qui, ensuite, vous plongent dans un grand doute, parce qu’il faut tout reconstruire derrière. Mais heureusement, en mer, il y a aussi des instants de pur bonheur. Et pas seulement lors des arrivées de course, car c’est parfois plus intime… On vit aussi pour ça !
Vous êtes un chasseur de records. Mais il vous a fallu vous engager sept fois sur la Route du Rhum pour, enfin, remporter cette autre course mythique ? Comme quoi, la persévérance, parfois, peut payer (rires). Mais ce qui a vraiment été le plus intense, c’est que tout s’est joué en quelques secondes, sur la décision d’un virement ! Le niveau d’adrénaline était alors assez incroyable…