Allain Bougrain-Dubourg : « Le pouvoir reste sourd »
Président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ce défenseur de la cause animale déplore le décalage entre l’exécutif et l’opinion. Même si les annonces récentes vont dans le bon sens
Allain Bougrain-Dubourg revient sur ses combats dans On a marché sur la Terre Journal d’un militant, aux éditions Les Échappés. Et dresse un bilan mitigé de la lutte contre les souffrances infligées aux animaux, le pouvoir restant sourd, selon lui, à la pression d’une partie croissante de l’opinion.
La cause avance-t-elle ?
Je me réjouis qu’une proposition de loi soit à nouveau initiée. Simplement, elle vise essentiellement à renforcer les peines, ce qui ne me paraît pas suffisant. Il manque les moyens pour identifier la délinquance et enrayer la maltraitance. C’est déterminant. En clair, on n’a pas les moyens de faire des contrôles. Pas assez de vétérinaires qui, s’ils font des contrôles dans les abattoirs ou les restaurants, n’en font pas sur le bien-être animal. Mais il s’agit d’une procédure accélérée, ce dont on peut se réjouir, et le travail va se poursuivre sur le terrain des amendements. Quant aux animaux sauvages en captivité, les annonces de Barbara Pompili ont constitué une avancée de principe formidable. De principe, parce qu’il reste un flou dans la mise en oeuvre. Il s’agit d’une démarche du ministère de la Transition écologique ? Disons qu’il ne faudrait pas que la transition dure trop longtemps.
L’attitude du pouvoir évolue dans le bon sens ?
On sent que l’exécutif ne peut plus échapper à la prise de conscience, face à une pression de l’opinion qui est maintenant clairement avérée. Et qui ne fait plus sourire ; pendant longtemps, on a considéré qu’il y avait d’autres priorités que la condition animale. Aujourd’hui, on voit bien que le public fait des choix, alimentaires notamment, valorisant la bientraitance, ce qui illustre une volonté nouvelle et urgente. L’évolution est évidente. Du reste, alors qu’en , la loi agriculture et alimentation a rejeté tous les amendements liés au bien-être animal, le ministre de l’Agriculture vient d’annoncer la fin de la castration des porcelets. Que ne l’a-t-on pas annoncé à l’époque ? Concernant la faune sauvage, nous avons eu une multitude de réunions depuis Nicolas Hulot, en particulier sur des méthodes de chasse parfois non-sélectives mais, déjà, douloureuses. Avec un gros travail sur différents autres thèmes, dont les cirques et les ménageries, les delphinariums, les élevages de visons. J’avais alors demandé une chose simple. On a reconnu dans le Code civil la sensibilité de l’animal. Mais pour l’animal domestique, pas pour l’animal sauvage. Un chien serait sensible à la souffrance, un renard ne le serait pas ? Ou un canari et pas un chardonneret ? C’est inacceptable. On n’a jamais voulu normaliser le droit français en raison des lobbyings, il faut que cela change.
Jean Castex n’a pas voulu d’un ministère de la Condition animale…
Je pense que nous n’avions pas forcément besoin d’un ministère, mais d’une structure interministérielle, sous l’autorité du Premier ministre, qui ne soit plus dépendante des lobbies. L’animal intéresse autant l’Éducation nationale que l’agriculture, le sport, la recherche ou l’environnement. Il y a dans ce domaine une transversalité qui mérite une identité particulière dans sa gouvernance.
Loïc Dombreval voulait que la vente d’animaux ne soit plus possible en animalerie ou en ligne…
Globalement, les animaleries n’ont pas fait leurs preuves en matière de bien-être animal. Des coulisses sont sordides et génèrent des souffrances cachées. Ce n’est pas le cas de toutes. Mais dès qu’un animal part, il faut le remplacer par un autre. Dès qu’un animal grandit, on en expose un jeune, plus séduisant. Il subsiste une opacité de toute la chaîne du vivant qui n’est pas satisfaisante.
Côté chasse à la glu, le combat est gagné ?
C’est gagné, non pas parce que le président de la République a accepté d’en finir avec ce piégeage, mais parce que l’Europe l’a imposé. Non seulement nous avons été mis en demeure, mais un avis motivé obligeait la France, faute d’avoir donné des arguments satisfaisants, à rompre avec cette chasse. Le dernier pays à l’avoir pratiquée étant Malte.
Mais le « déterrage » des blaireaux continue.
De quoi s’agit-il ?
C’est une méthode de capture des blaireaux dans leur terrier, après des heures et des heures d’une violence extrême à l’égard de ces animaux qui, souvent, ont leurs petits avec eux. On lâche des chiens en creusant les terriers par le haut, tout en écoutant le sol, de façon à atteindre la galerie où se trouvent les blaireaux. Que l’on sort avec de grandes pinces métalliques avant de les égorger ou de les tirer au fusil. C’est hyperstressant, inacceptable. Il faut absolument mettre un terme à cette pratique.
Cédric Villani a été retoqué. Un regret ?
Il l’a été notamment sur la chasse à courre et sur l’interdiction à vingt ans de tout élevage qui ne soit pas en plein air. On se rend compte pourtant qu’il y a une vraie demande sociale consistant à faire bouger les lignes : en fait, tout le monde demande la même chose. L’exécutif ne peut rester sourd, devant pareille situation. Mais il y a une puissance du lobbying en général et singulièrement, je le dis, de la chasse et de l’agriculture, qui bloque toute avancée.
Sur les battues, des associations reprochent aux chasseurs d’agrainer les sangliers. Vrai ?
Si les chasseurs étaient bons gestionnaires, il n’y aurait pas de surpopulation chez les sangliers. Pourquoi est-ce le cas ? Plusieurs raisons. Premièrement, on agraine en hiver, donc on ne favorise pas la mortalité naturelle. Deuxièmement, il y a encore des élevages de sangliers, ce qu’il faut cesser immédiatement. Je ne peux pas comprendre que, d’un côté, on ait trop de sangliers et que de l’autre, on continue d’en élever. À un moment, il faut devenir rationnel.
Le véganisme gagne du terrain. Où en êtes-vous ?
Je fais « lundi vert » : plus de viande ni de poisson… Je ne mange d’ailleurs presque plus de viande, mais sans être végan. En tout cas, je vois cela comme un mouvement hautement respectable, même si je condamne des comportements excessifs de la part de certains. Et je n’oublie pas non plus qu’il existe des petits éleveurs qui s’occupent remarquablement bien de leur bétail et participent de la
‘‘ Une pression de l’opinion maintenant clairement avérée. ”
‘‘ Ilyaune puissance du lobbying en général ”
préservation de la biodiversité.
Comment réduire ce décalage entre l’opinion et le pouvoir ?
Il me semble que le président de la République pense reconquérir la ruralité française avec les voix des chasseurs. Or, il y a
millions de ruraux et million de chasseurs. Mais ces derniers, en majorité, vivent en ville et viennent chasser le week-end. Les néoruraux d’aujourd’hui sont des gens qui abandonnent la ville pour retrouver ce qu’on appelait autrefois la « qualité de vie » à la campagne. Ils n’ont pas pour objectif, en ouvrant la porte de leur maison, de décrocher un fusil et d’aller tirer sur tout ce qui bouge. L’essentiel de l’espace de ce terroir est partagé par des vététistes, cavaliers, randonneurs, cueilleurs de champignons, que sais-je encore. Ce n’est plus le monopole des chasseurs.
Avez-vous parfois le sentiment de n’avoir pas été assez efficace ? Je suis atterré par la souffrance qui s’accumule dans l’indifférence. Et je me sens coupable de ne pas avoir trouvé les mots adéquats ou de n’avoir pas eu assez de poids pour régler le problème en urgence. En même temps, j’ai le sentiment que l’idée du respect du vivant n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Nice-Matin a largement relayé l’initiative de Mathilde et Nicolas, deux enfants aujourd’hui âgés de et ans qui sont investis en faveur des animaux dans les refuges. Pour moi, leur exemple est un espoir aussi important que les projets de loi. Cela prouve que la société change.
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