Var-Matin (Grand Toulon)

Otage du hold-up du siècle, traumatisé à perpétuité

Séquestré avec sa famille et ceinturé d’explosifs, Emmanuel Demaimay, alors agent de La Banque de France à Toulon, a vécu un casse à 146 millions de francs le 16 décembre 1992. Le choc reste entier

- PEGGY POLETTO ppoletto@nicematin.fr

Ce mercredi 16 décembre 1992, au Mourillon, il est près de 7 heures. Emmanuel Demaimay, 25 ans, agent à la Banque de France, rentre d’une nuit de travail. Son épouse et son fils de 6 ans dorment dans leur appartemen­t. Devant la porte d’entrée, deux hommes se présentent comme des livreurs. Emmanuel ouvre, les hommes s’engouffren­t. Le Toulonnais se retrouve plaqué au sol, frappé, puis conduit dans l’ascenseur, un revolver braqué sur sa tête. Les malfrats réveillent sa femme. « Dès qu’elle a ouvert les yeux, elle avait une mitraillet­te audessus de la tête. Et là, le calvaire a commencé...»

Emmanuel, terrorisé, est assommé de questions sur les systèmes d’alarme, la temporisat­ion, le nombre d’agents, le nombre de clefs. « Je prenais des baffes quand je ne répondais pas. En fait, ils savaient tout ! » Rapidement, deux, trois, puis quatre hommes d’une trentaine d’années arrivent à l’appartemen­t. Dans la foulée, un autre, plus âgé, les rejoint.

Voilà près de trois heures que la famille Demaimay est séquestrée. Le « chef » débarque. « Il a calmé tout le monde. Il a ouvert une mallette. Il avait un téléphone et un scanner pour écouter les conversati­ons radio de la police. Mon fils s’est réveillé. Moi j’étais sur un fauteuil face au sapin de Noël qui clignotait... Ils étaient tous gantés, vêtements neufs, chaussures neuves, lunettes neuves, des perruques et des maquillage­s incroyable­s. Même les fausses barbes étaient difficiles à distinguer. Ils changeaien­t aussi d’accent. Un m’a expliqué ce qu’il allait m’arriver, ce que j’allais avoir sur le ventre. Cet homme dirigeait, il recevait des coups de téléphone. Des gens étaient postés, ils surveillai­ent la banque. Un était apparemmen­t déguisé en SDF. D’autres étaient en voiture plus haut .»

« J’étais une bombe humaine ! »

L’angoisse grimpe. « On m’a mis une ceinture banane autour du ventre avec de l’explosif et un déclencheu­r à distance. » À l’intérieur de la petite sacoche, les malfrats ont chargé 300 grammes de matières explosives. « Ils emmènent ensuite ma femme et mon fils, et ils me disent : “On les conduit dans un bois. Si tu ne coopères pas, on les liquide et toi tu exploseras” .» Emmanuel doit prendre la direction de la succursale de la Banque de France, située sur l’avenue Vauban.

« Ils avaient installé un micro chez moi »

« Ils avaient un double des clefs de mes deux véhicules. Ils étaient déjà venus repérer à la maison. Ils avaient même installé un micro dans la chambre. J’avais un revolver d’alarme, ils le savaient. Ils m’avaient suivi. C’était incroyable ! Glaçant.»

Il traverse alors la ville, accompagné d’individus armés jusqu’aux dents. Les minutes ressemblen­t à des heures. « Il fallait être solide. »

À 17 h, le convoi atteint son objectif. La nuit est déjà tombée. Les deux véhicules stationnen­t à proximité de la succursale de la banque. Dans la tête du jeune employé, un tic-tac lancinant l’obsède. Le fait tenir aussi. Il doit sauver les siens.

« Je sonne. Mes collègues de travail me voient et ouvrent. Je reste dans le sas en attendant. Je leur explique ce qu’il se passe. Ce que j’ai sur mon ventre. L’explosif. Que mon fils et sa maman sont pris en otage. Un caissier ne voulait surtout pas ouvrir. Je pleurais. J’étais à genoux, je suppliais. L’autre, plus âgé, a pris la décision d’ouvrir en disant que les vies sont plus importante­s que le reste. » Le gang s’introduit dans les locaux et séquestre le personnel. « C’était une fourmilièr­e à l’intérieur. Ils ont fait entrer un fourgon. » En quelques minutes, les braqueurs font main basse sur 35 sacs remplis de 850 kg de billets. Des liasses conditionn­ées sous plastique, pour un montant de 137 millions de francs. Deux salles des coffres sont totalement vidées ; la troisième ne sera pas visitée. 18h15. Fin de l’opération. Un coup trois fois plus important que celui d’Albert Spaggiari et sa bande, en 1976 dans les locaux de la Société générale à Nice.

Dans le quart d’heure suivant, le caissier principal libère les employés enfermés dans une pièce en sous-sol. Emmanuel, toujours ceinturé d’une charge explosive, pâlit. « Une alarme s’est déclenchée. J’ai vu une lumière clignoter dans la banane. Je me suis dit que ce n’était pas bon. J’ai appelé ma mère - qui était à ce moment-là à Millau - pour lui dire ce qu’il se passait. Que j’allais exploser, que j’allais mourir. Elle ne s’en est jamais remise. Mon collègue de travail, à mes côtés, un athée à qui il ne fallait pas parler de religion priait. On attendait que la cavalerie arrive .»

Pour Manu, la cavalerie, c’est la police. Le commissari­at central se trouve à seulement quelques mètres de la banque. Une alarme s’est bien déclenchée. « J’ai décroché et j’ai répondu que c’était une alarme intempesti­ve. Je n’oubliais pas qu’ils avaient ma femme et mon fils ! C’est ma mère qui les a prévenus. »

L’ex-otage dévoile aussi un subterfuge utilisé par les malfrats pour « balader » les policiers sur le terrain : « Grâce à sa valise, un des hommes envoyait des messages radio, comme s’il était policier, pour annoncer un hold-up à tel endroit, un casse là-bas. La police a mis un certain temps car ils n’étaient pas nombreux. » Ce 16 décembre est aussi le jour de l’arbre de Noël de la police. Un détail sans doute utilisé par les auteurs du hold-up.

Le démineur de la police : « Tout le monde sort »

« Si quelqu’un intervenai­t avant 20 h, j’explosais. C’était leur avertissem­ent ! » Lorsque les policiers pénètrent dans les locaux et se trouvent face à Emmanuel Demaimay, ils ne prennent pas les faits au sérieux. « Ils rigolaient, ils pensaient que c’était factice. » Lorsque le démineur arrive sur place, le ton change. « J’ai vu un homme habillé comme un cosmonaute s’approcher de moi. Il leur a dit : Tout le monde sort. Je n’ai jamais autant transpiré de ma vie. » Auditionné ensuite au commissari­at, Emmanuel n’a toujours pas de nouvelles des siens. « Ce moment a été un calvaire. Les policiers ne me disaient rien. Vers 21 h, ils m’ont annoncé que ma femme et mon fils avaient été retrouvés à Hyères, sur un parking, près de la place de marbre. » À 2h30, les époux Demaimay sortent du commissari­at, hagards après une journée cauchemard­esque. « On était seuls, dans la rue. On est rentré à pied au Mourillon. Désespérém­ent seuls. Je m’en rappellera­i toute ma vie...»

‘‘ Ils emmènent ma femme et mon fils dans un bois en menaçant de les tuer ”

‘‘ Si le signal était donné avant  h, j’explosais ! ”

A jamais un cauchemar

Le casse de la Banque de France est toujours le cauchemar d’Emmanuel Demaimay depuis 1992. Il en parle pour évacuer ses angoisses, pour exorciser ces moments de peur. Otage à vie d’une journée dramatique où tout a basculé. Il sera ensuite licencié. Son mariage ne résistera pas. Le procès de l’équipe de braqueurs ? « Que dire ? Que je suis une victime et que je n’ai pas été indemnisé. Je suis costaud. Je ne suis pas quelqu’un de fragile. D’autres personnes se seraient foutues en l’air. Je suis toujours suivi par un médecin. Travailler a été compliqué en raison de mon état de santé. Vous savez, depuis 28 ans, je vis toujours avec ça en moi et malgré toutes les difficulté­s, je me dis que la vie est belle ! »

◗ Témoignage vidéo disponible sur varmatin.com

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(Photo S. D.) Vingt-huit ans après les faits, Emmanuel Demaimy en subit toujours les conséquenc­e.

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