Var-Matin (Grand Toulon)

« Un quotidien qui glisse dans le cauchemar »

- ALAIN MAESTRACCI amaestracc­i@nicematin.fr

L’un, Walid, veut s’extraire de sa cité et l’autre, Heloïse, de sa vie bourgeoise. Ils se rencontren­t. Ce qui arrive tous les jours désormais dans notre société. Mais le quotidien va lentement glisser vers le drame. Car l’extrême droite est au pouvoir dans ce deuxième roman d’Emmanuel Flesch.

Ces gens-là, comme l’a chanté un grand poète, n’aiment pas les autres gens, ceux qui ne sont pas blancs et qui ne portent pas un prénom bien français. Et ce qui pourrait arriver, arrive. Ça sent Vichy, pas l’eau pétillante qui fait du bien. La puanteur pétainiste plutôt. Ça glisse vers le drame et on se dit qu’à un moment quelqu’un va intervenir pour que l’on n’ait pas besoin d’utiliser l’échafaud...

Avant de poser ses valises à Aulnay-sous-Bois où il est désormais professeur d’Histoire et de Géographie, Emmanuel Flesch a promené sa jolie tignasse un peu partout. Après avoir arrêté ses études à l’âge de vingt ans, il a, comme il le dit joliment, « eu un parcours qui a pris des détours avec pas mal de petits boulots surtout coursier moto ça m’a beaucoup marqué ! Réformé de l’armée, ça a été un peu mon armée à moi » .Septans après avoir bourlingué, il reprend ses études pour trouver un boulot stable : professeur au collège. Et il s’est mis à l’écriture. Vous savez quoi ? Il a bien fait !

Après tous ces petits boulots, comment en êtes-vous arrivé à l’écriture ?

En fait, je me suis mis à l’écriture avant. À dix-neuf, vingt ans, j’ai commencé à écrire des nouvelles et, avec la fougue de la jeunesse et la naïveté qui vont avec, je me suis dit : “Ben voilà je veux devenir écrivain”. J’ai plaqué mes études, je voulais mon indépendan­ce et me frotter un peu à la vraie vie. J’étais fasciné par des auteurs comme Céline, Bukowski... Je suis parti à Marseille pour travailler avec toujours cette idée d’écrire, mais cela a pris plus de temps que prévu. J’ai donc repris mes études pour avoir un boulot qui m’intéresse, qui soit plus gratifiant et moins fatigant que tous ces petits jobs. Et j’ai décidé d’enseigner.

Vous nous transporte­z dans ce roman au sein de l’extrême droite. Pourquoi ce choix ?

Le livre Soumission de Michel Houellebec­q m’a beaucoup marqué. J’aime bien cet auteur mais ce livre particuliè­rement m’a mis assez mal à l’aise et je me suis interrogé car il a beaucoup de talent, de malice et même un peu de perversité et je me suis dit qu’aurait-il imaginé s’il avait fait l’inverse : au lieu de mettre un candidat musulman au pouvoir, d’y mettre un candidat d’extrême droite. J’avais par ailleurs un autre roman, commencé mais pas terminé, qui racontait l’histoire d’un jeune de cité qui devait se terminer aux assises. Les idées se sont mélangées et je suis parti dans cette direction.

Le prof d’histoire a sans doute aussi été intéressé par cet aspect des choses ?

Oui, complèteme­nt. Une fois que je suis parti sur cette idée-là, j’ai commencé par le plus simple. J’ai pris le programme du Front national et, à partir des mesures qu’il propose, en tirant le fil, j’ai plongé dans le corpus néologique de l’extrême droite depuis Charles Maurras à Éric Zemmour en passant par Pétain. Je me suis aussi inspiré de Vichy. Par exemple, l’histoire de changement de prénom c’est un peu dans les obsessions de certains polémistes. Il fallait aussi pousser cette logique et imaginer les résultats qui sont évidemment épouvantab­les à la fin du roman.

Vous avez, en effet, pousser loin puisqu’un jeune rebeu est accusé d’avoir violé une bourgeoise blanche, alors que c’est elle la salope...

(Rires) Je ne le dirai pas comme ça mais c’est vrai qu’elle a dans ses pathologie­s, ses névroses, un côté allumeuse. La difficulté de ce roman a été de ne pas trop sombrer dans le sordide parce que mon sujet ce n’est pas le viol. La personnali­té de cette femme un peu trouble, en qui le lecteur ne peut pas trop avoir confiance, s’est imposée. Mais, en même temps, c’est une femme qui est quelque part victime d’elle-même ou du moins qu’elle s’est laissé emporter dans une vie qu’elle subit.

Votre but était de nous mettre en garde contre un retour de l’extrême droite ?

Un des aspects du roman c’était évidemment d’en faire un épouvantai­l. Mais j’ai essayé de ne pas en faire un roman à thèse, de me tenir le plus loin possible de la dialectiqu­e politique ou de la dénonciati­on frontale. L’idée c’était de faire avant tout un roman noir, avec une dimension politique, et de partir sur une intrigue. Comme Houellebec­q, ce qui m’intéressai­t c’était de faire un mélange entre le familier, le quotidien, un monde qui nous ressemble et qui glisse dans un cauchemar. Je voulais aussi que ce soit un miroir de notre époque.

Il y a soudain une charge contre les hommes politiques, même actuels. Pourquoi ?

C’est dans la bouche d’un personnage. Je me cache un peu derrière chacun des personnage­s en rendant justice à la complexité de chacun. Là, Héloïse, incarne la révolte contre sa condition bourgeoise dont elle n’arrive pas à s’extraire et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle rencontre la trajectoir­e de Walid. Car tous deux veulent s’extraire de leur milieu. Et puis c’est un peu dans l’ère du temps : les protestati­ons deviennent de plus en plus radicales de deux côtés.

‘‘ J’ai essayé de ne pas faire un roman à thèse”

‘‘ Les deux personnage­s veulent s’extraire de leur milieu”

Un prochain livre est-il déjà en projet ?

J’ai plusieurs projets. J’espère continuer bien sûr, d’autant que j’ai été bien accueilli chez Calmann-Lévy.

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