Var-Matin (Grand Toulon)

L’ex-médecin de Mitterrand à coeur ouvert

À l’occasion du 25e anniversai­re de la mort du premier président socialiste dont il a caché, sur ordre, l’état de santé aux Français, le Dr Claude Gubler, retraité à Cuges, revient sur un « grand secret »

- JEAN-MARC VINCENTI jmvincenti@nicematin.fr

Retraité et installé dans la campagne de Cuges-les-Pins, le docteur Claude Gubler, exmédecin personnel du président de la République François Mitterrand qui, durant près de deux mandats, signa des communiqué­s médicaux occultant le cancer de la prostate dont souffrait le chef de l’État, garde intacts ses réflexes de praticien. « Même si je viens de me faire vacciner contre la Covid, je suis à cheval sur le masque… La distance, c’est bon ? On est à peu près à 2 mètres, là ? Reculez-vous un peu ! »

À 86 ans, définitive­ment rangé de la politique, après une tentative avortée de se présenter aux élections municipale­s de 2014, sous l’étiquette socialiste, dans le village où il fut premier adjoint pendant trois mandats avant d’être démis de ses fonctions, le Cugeois d’adoption consacre son temps libre aux voyages – depuis 20 ans, avec son épouse, il a fait le tour du monde – et à la photograph­ie.

« Gubler ! Je vous lie par le secret d’État ! »

« Je suis photograph­e animalier,

glisse-t-il dans le salon de l’ancien mas, une ruine qu’il acquit il y a 37 ans et restaura, un espace de détente où les volatiles empaillés s’acoquinent avec les encyclopéd­ies naturalist­es. J’ai choisi les oiseaux parce que c’est le plus difficile. Ma femme est plutôt photograph­e de portrait ».

Est-ce une façon pour l’auteur du livre Le Grand Secret dans lequel

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neuf jours après la mort de François Mitterrand (le 8 janvier 1996), cible des paparazzis, il révéla que celui-ci avait été informé de son cancer en 1981, de prendre de la hauteur ? En tout cas, le Dr Gubler, a suivi d’un oeil critique l’annonce, fin décembre, de la contaminat­ion d’Emmanuel Macron à la Covid-19. « Heureuseme­nt il est jeune. Il est parti s’isoler à la Lanterne que je connais bien. Son médecin militaire a dit quelques mots… Pour moi, compte tenu du diagnostic qui a été immédiatem­ent posé, de ses apparition­s publiques rassurante­s, avec un suivi jour après jour de son état, il y a eu une bonne communicat­ion ». Et d’ajouter : « Après les “problémati­ques” Pompidou, Mitterrand et Chirac, mon ami le Pr Vallancien, plus d’autres, de l’Académie de médecine, du Conseil de l’Ordre, et des politiques ont imaginé, pour éviter les fausses communicat­ions, que la santé du Président devait être suivie par un groupe de médecins ».

En 1981, pour le médecin de famille de François Mitterrand, qu’il suit depuis 1969, cela se passe différemme­nt. « On a diagnostiq­ué son cancer en octobre 1981, quand il revenait de Cancún. Son traitement avait commencé et je dois écrire un communiqué, le second, en décembre. Il me dit “On ne peut quand même pas dire que j’ai un cancer, sinon, il n’y a plus qu’à partir” .Je lui ai dit “Monsieur, pour moi la solution, et ça passera très bien avec les Français qui s’en foutent, c’est : on ne fait pas de communiqué. Vous faites comme Giscard”. Il me dit “Mais pas du tout, je veux qu’il y ait un communiqué, mais je ne veux pas qu’il y ait le mot cancer. C’est un secret d’État ! Je vous lie par le secret d’État” ».

Le Dr Gubler se plie à l’injonction, – « C’est facile après de critiquer, mais quand la plus haute personnali­té de l’État vous donne un ordre… » – et ne démissionn­e pas. « Ma démission de quoi ? Je n’avais pas de poste ? Est-ce qu’on abandonne un malade alors que le traitement marche ? Je n’ai pas menti, j’ai écrit un communiqué incomplet. D’ailleurs, le Conseil de l’Ordre a toujours dit qu’on n’était pas obligé de tout détailler dans un communiqué ou un certificat… »

Le Président, qui avait également signifié au Dr Gubler « Vous avez parfaiteme­nt le droit de le dire un jour », savait que ce dernier allait écrire son histoire. « Il lui arrivait souvent, pendant les quatorze années passées ensemble, de me demander avec l’air de celui à qui rien n’échappait : “Alors Gubler… Où en êtes-vous de vos notes ? Où en êtes-vous de vos papiers ?”»

Et de se justifier : « Ce n’était pas possible de vivre ce que j’ai vécu sans le révéler un jour. Pour que ça ne se reproduise plus aussi. Sur la fin de sa vie, je considère que le Président avait le droit de prendre des traitement­s expériment­aux, miraculeux, mais pas celui de le divulguer. »

« Mitterrand croyait qu’il était guéri »

C’est le Pr Steig qui a révélé le cancer de François Mitterrand en 1992. « Le Président est entré dans une colère noire et s’est exclamé : “Mais je croyais que j’étais guéri ! Que je n’avais plus rien ! “» se rappelle le Dr Gubler. De 1981 à 1992, le traitement médical a magnifique­ment réussi. Le président a faussement interprété les paroles rassurante­s du Pr Steig et considéré que tout allait bien ».

Le Dr Gubler clôt l’entretien : « Quand on est médecin longtemps et exclusivem­ent d’une personne, on finit par bien connaître l’être humain avec toutes ses qualités et tous ses défauts. C’est ça le secret médical, cette connaissan­ce intime de l’individu. Et ça, il ne faut pas en parler. Dans mon livre, vous ne trouverez pas un mot là-dessus ».

1.Le livre du Dr Gubler (coécrit avec le journalist­e Michel Gonod) condamné a 4 mois de prison avec sursis pour violation du secret profession­nel, est resté interdit en librairie pendant neuf ans. Avant que la Cour européenne des droits de l’homme réaffirme dans un arrêt de 2004 que « La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratiq­ue » et autorise sa vente libre.

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 ?? (Photos Frank Muller) ?? À Cuges, le Dr Claude Gubler, ex-médecin personnel de François Mitterrand dont il a caché le cancer durant deux mandats présidenti­els, est définitive­ment rangé de la politique.
(Photos Frank Muller) À Cuges, le Dr Claude Gubler, ex-médecin personnel de François Mitterrand dont il a caché le cancer durant deux mandats présidenti­els, est définitive­ment rangé de la politique.

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