Bruno Cayron donne de la couleur aux tables d’hiver
Installés à Tourves, le maraîcher bio et sa compagne, Isé, cultivent quelque 250 variétés de légumes bio, au goût si raffiné que de grandes tables gastronomiques se les disputent.
Un chemin de terre caillouteux serpente au milieu de la forêt, avant d’atteindre le plateau : se rendre au Cayre de Valjancelle se mérite. Vous êtes chez Bruno Cayron, maraîcher bio. Il s’est installé ici voilà plus de 15 ans et, depuis, rend des couleurs aux tables d’hiver. Chou-fleur orange, violet, blanc en décembre, carottes anciennes qui se déclinent du crème au grenat. Radis noir et blanc, rose… Tout un festival de couleurs acidulées, et des légumes préparés dans des cuisines parmi les plus grandes tables gastronomiques… À l’Élysée, il n’y a pas si longtemps encore, à l’Assemblée nationale aujourd’hui. Et cette palette-là, où les carottes sont sous cellophane, est en partance pour Singapour.
Technicien forestier, infographiste
À 50 ans, Bruno Cayron savoure avec humilité d’être reconnu plus facilement par les grands noms de la gastronomie française que par ses voisins. Un paradoxe qui va bien à ce Roquebrunois d’origine, taiseux d’apparence mais viscéralement attaché à la terre.
Les gènes. Son grand-père était maraîcher et métayer. « Mon père a été le premier maraîcher à planter des fraises sous cloche de verre dans la région », raconte-t-il. Mais quand Bruno a été en âge de comprendre, c’est plutôt la vente de produits phytosanitaires qui fait bouillir la marmite du foyer. «Jene sais pas si cela a eu un impact », sourit celui qui, enfant, a, grandi à côté de la forêt, aire de jeux magique pour l’imaginaire.
Il choisit d’abord l’infographie, puis retrouve le végétal avec une formation de technicien forestier. Mais à 25 ans, il retourne à l’infographie dans l’édition, faute de trouver un boulot en phase avec ses aspirations dans la région. Il tient quatre ans. Jusqu’à ce que, militant écologiste convaincu, il lâche tout en 2003 pour retrouver le goût de la terre. C’est à Tourves qu’il déniche les quatre hectares de terre nécessaires et installe son activité. « C’était assez dur de trouver du terrain à l’époque, se remémore-t-il, mais comme je suis plutôt quelqu’un de chanceux...» , un mois lui aura suffi.
Il commence par « affronter les difficultés », dit-il pour résumer, sur une terre peu propice au maraîchage (lire en page suivante). « S’installer quand on n’est pas fils de paysans, que l’on crée tout, c’est compliqué. » De la mécanique à l’irrigation, l’apprentissage va vite, ne laisse rien au hasard. Très rapidement, Isé vient travailler à ses côtés. Isé Crebely, enfant de Tourves. Une licence de psycho en poche, elle a fait le choix de rester à la campagne. A saisi l’opportunité de travailler dans un domaine viticole avant de rejoindre à plein temps celui qui devient, un peu plus tard, son compagnon. Au début, le couple fait les marchés : Aubagne, Trets… Brignoles. « J’adorais faire un beau stand poursuit Bruno. Comme on fait plus de 250 variétés de légumes, on avait toujours des produits et des couleurs qu’on ne trouve nulle part ailleurs… »
Réminiscence du passé où l’image était son quotidien, il se met à alimenter ses réseaux sociaux de photos débordantes de couleurs et de lumières. « Ça a commencé à attirer des chefs. Cela a fait effet boule de neige. » Le bouche-à-oreille a fait le reste. Et aujourd’hui, une très grande partie de la production est réservée pour des chefs, étoilés ou non, grandes tables gastronomiques ou petites maisons locales, toutes engagées dans une démarche qualité : du bio, du beau, du (très) bon.
Formation et transmission
En parallèle à son exigence maraîchère, le couple fait corps avec son environnement et son éthique. La maison, « un projet participatif », en témoigne : en paille, avec une ossature en bois, les murs enduits à la terre de la propriété. Une large baie vitrée pour faire entrer la lumière. Une cuisine ouverte sur une vaste salle à manger où trône, imposante, une large table en bois. Elle a été dessinée pour de grandes tablées.
Là dans un coin, sous le soleil d’hiver qui irradie à travers la baie vitrée, les matelas des chats, des chiens… Et le sapin. Un petit pin en fait, « qui poussait au bord d’une restanque près des arbres fruitiers », confie Isé… « Kaya ne veut pas encore l’enlever », sourit Isé. Kaya, la belle et souriante fillette du couple. Kaya, six ans. Isé et Bruno lui transmettent le respect de la terre nourricière, sans la forcer à en faire sa religion. « Les choses se feront comme elles doivent se faire », résume son père, philosophe. « Elle est fière aussi, reprend la maman, de pouvoir montrer à l’école les produits que nous cultivons ».
Transmettre, c’est aussi l’ambition cultivée par Bruno et Isé. C’est pour cela que les exploitants ont choisi d’accueillir régulièrement des porteurs de projets : compagnons de fermes d’avenir (1), stagiaires… « Je leur dis à tous que l’on ne peut pas juste vivre de sa passion, explique Bruno Cayron, par ailleurs président de l’ADEAR PACA (2). Il faut aussi se réaliser à travers une vie sociale, ce que nous avons créé ici avec ces échanges, ces formations… Les chefs, lorsqu’ils viennent visiter nos installations. C’est aussi pour cela que nous avons imaginé une large cuisine ouverte sur une grande salle à manger. » Ils viendront aussi, lorsque la situation sanitaire le rendra possible, y préparer des mets. Le couple propose aussi du conseil, aux collectivités, aux particuliers. « On fait des jardins… » Des moments qui participent au modèle politique social, et agricole d’une famille de paysans au sens noble du terme, en phase avec la terre qu’elle cultive, parce que « C’est le paradis ici ! »
‘‘ S’installer quand on n’est pas fils de paysans, que l’on crée tout, c’est compliqué”
1. Créée fin 2013, l’association Fermes d’Avenir a pour ambition d’accélérer la transition agricole.
2. L’ADEAR du Var, association créée en 2002, regroupe des paysans en activité et des porteurs de projet agricole.