Var-Matin (Grand Toulon)

Le graveur qui aime aussi les mots

Installé au Castellet depuis plus de 30 ans, Gérard Pons aime autant faire de la gravure que rédiger de la poésie.

- KARINE MICHEL kmichel@nicematin.fr

Sur les murs, ce qu’il fait. Sur les tables, ce qu’il écrit : à 92 ans, Gérard Pons maîtrise aussi bien la gravure que la poésie. Cet artiste dans l’âme et le verbe s’est installé depuis plus de 30 ans au Castellet, y a ouvert son atelier où l’odeur du papier se mêle à celles des encres. À portée de main, séchoirs, plaques chauffante­s… Une presse pour chaque technique (lire par ailleurs), « la première que j’ai achetée, je l’ai gardée deux ans avant de pouvoir m’en servir… »

L’atelier place Saint-Éloi, c’est son lieu de rencontres. « Je m’efforce d’amener un contact, un échange, pour échapper un peu à cette vie monotone… », confie ce personnage, artiste atypique au regard franc, empli d’une malice bienveilla­nte. Et ici, au coeur du village médiéval, on vient à sa rencontre pour ses talents de graveur comme pour ceux de poète…

« Un artiste, c’est un homme ou une femme qui a eu la chance de trouver une possibilit­é d’expression, confie-il. Mais sans être prétentieu­x, ce n’est pas suffisant. Il faut avoir quelque chose à dire… »

Gérard a toujours eu des choses à dire. A toujours voulu soigner l’échange et la liberté de chacun. Liberté d’agir, de penser. De manier les mots. Ses dernières rimes, composées quelques minutes avant de nous ouvrir la porte, – l’encre sur le papier n’est pas encore sèche – rappellent combien cette liberté est si fragile.

« Le ciel était bleu, si bleu qu’il éclairait même les barreaux des prisons… »

Presque un manifeste.

« Mon père était dans la marine… »

Entre deux affectatio­ns, c’est au pied du fort SaintLouis à Toulon qu’il a appris à nager. Entre deux affectatio­ns, il a été élève au lycée Rouvière. On est au lendemain de la seconde guerre mondiale, il choisit le dessin industriel. Des études techniques « par obligation ». Apprend tout de même en parallèle un peu de gravure sur bois également.

« J’ai toujours voulu m’exprimer. J’avais constammen­t dans les poches des carnets de notes… que je perdais régulièrem­ent… » Il éclate d’un rire franc et sonore. « En fait, se remémore-t-il, je me suis beaucoup formé en art ». Il va même jusqu’à apprendre la lithograph­ie aux côtés d’une Hollandais­e installée en Grèce. Puis en Belgique, avec de grands maîtres graveurs. Une formation loin des sentiers académique­s, force d’expérience­s. « Et puis, comme un de mes maîtres m’avait dit qu’il fallait que j’aie pignon sur rue… » Il revenait souvent dans la région varoise, il choisit de s’y installer il y a plus de 35 ans. Et accomplit depuis Le Castellet, sa deuxième vie.

Plus de dix ans dans la Légion étrangère

La première s’est déroulée sous les drapeaux. Après des études d’ingénieur, il lâche tout, « je sentais que ce n’était pas ma voie… J’ai arrêté parce que j’aurais construit des ponts qui se seraient écroulés, mon père aurait été embêté… » glisse-t-il en riant. Donc il part au 10e bataillon de parachutis­tes, au Maroc. « Une fois sur place, j’ai prévenu mes parents… » Il se fait une vie dans l’armée. « Quand vous avez vécu l’occupation allemande etc., votre sens de la patrie est aiguisé… » Il s’engage même plus de dix ans dans la légion étrangère « Je vais souvent à Puyloubier, j’ai même participé à cette création », ditil modestemen­t en montrant la petite flamme verte et rouge affichée dans son atelier. Comment servir sinon en prenant les armes ? Il accompagne­ra à cette vie un « cursus classique » pour son âme poète. Comme d’autres avant lui. Il cite Blaise Cendrars...

Le carnet, outil de travail

Mais même pendant ses années dévouées à la France, il se promène avec des carnets dans les poches, rappelle-t-il en en tirant un d’une étagère. Des notes, des dessins à chaque halte sur sa route. Le carnet devient un outil de travail. Ce passionné des mots – il maîtrise l’art du haïku ! – n’hésite jamais à rappeler combien leur sens est primordial. «Un mot peut souvent contrôler tout un texte, ditil en récitant quelques phrases, lui qui est capable de citer le sujet de son certificat d’études. Sa mémoire encore intacte à 92 ans passés force l’admiration.

« Le dessin, comme la mémoire, c’est une gymnastiqu­e », dit-il humblement, avant de déclamer quelques vers de sa compositio­n. Avec aisance et maîtrise quasi théâtrale, lui qui longtemps, intervint dans les écoles pour réciter des vers autant que raconter ses histoires… Né dans le Vercors, d’origine cathare par son père et maquisarde par sa mère, Gérard Pons est une force de la nature. Il part encore faire son jogging, ou randonner dans la Sainte Baume. Et rappelle à qui veut l’entendre sa règle de vie : « pour moi l’essentiel, c’est la vérité. Le coeur sent ce que la main touche… »

‘‘ Pour moi l’essentiel, c’est la vérité”

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