Piscines Tournesol soucoupes nageantes
Vestiges de l’âge d’or du préfabriqué aux couleurs pop, quatre specimens de ces drôles de vaisseaux subsistent dans les Alpes-Maritimes. Celui de Carros est même labellisé patrimoine du XXe siècle.
Forme ronde un peu aplatie, coupole percée de hublots. Tout y est. Sauf les petits hommes verts. Pas vraiment des Objets Volants Non Identifiés, en fait. Ces drôles de bulles géantes sont des piscines Tournesol. C’est en effet davantage de la fleur solaire que s’inspirent ces équipements. La coupole qui coiffe le bassin peut s’escamoter sur un tiers de sa surface, selon l’intensité du soleil. Les rayons chauffent l’eau et les plages qui courent autour du bassin. Les nuages sont menaçants ? La pluie tombe ? La coupole se ferme et on continue à nager. Les baigneurs, petits et grands, ignorent bien souvent qu’ils évoluent au sein… d’une pièce du patrimoine du XXe siècle reproduite à des dizaines d’exemplaires, à travers la France, de 1969 à 1980. Dans les milieux aquatiques, l’anecdote est, elle, plus connue : l’idée de la piscine Tournesol est née d’un cuisant échec.
Le bide de Mexico
Jeux Olympiques de Mexico 1968. L’équipe de France revient avec une seule médaille.
De bronze, qui plus est .«Et pour cause, le pays possédait alors très peu d’équipements couverts permettant de pratiquer la brasse coulée en toutes
saisons », soutient Thomas Raimondo, directeur des sports à Carros, seule ville des Alpes-Maritimes à avoir une piscine Tournesol labellisée patrimoine du XXe siècle. « Il faut que ça change, que les
Français apprennent à nager » a dû se dire un jour Charles de Gaulle. En 1969, son secrétaire d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs lance un appel à projets inédit. Nom de code : Mille piscines.
Du prêt-à-nager
Mille, pas moins. À déployer sur l’ensemble du territoire. Et vite, ça urge ! Il faut équiper les municipalités de piscines standardisées pour un coût modéré. Les solutions doivent être assez pratiques pour inciter les petites et moyennes villes à se jeter à l’eau sans se lancer dans de coûteuses études préalables. Du prêt-ànager, en somme. L’architecte
Bernard
Schoeller remporte le concours avec deux projets de coupoles pouvant s’ouvrir partiellement ou totalement en coulissant sur ellesmêmes. Une conception héliotrope – « pour suivre la course du soleil, tel un tournesol» – qui ne sera pourtant jamais mise en pratique. Les piscines Tournesol ne s’ouvrant que sur un tiers de leur coupole, à 120 degrés, donc. Depuis le prototype testé en 1972 à Nangis, en Seine-etMarne, jusqu’en 1982, tous les exemplaires des piscines Tournesol sont conçus de la même manière, avec les mêmes matériaux, les mêmes dimensions.
Le bassin qui mesure 10 x 25 mètres est bordé de larges plages avec un banc périphérique au pied de la coupole. Cette pièce maîtresse est l’oeuvre de l’ingénieur Thémis Constantinidis : elle mesure trente-cinq mètres de diamètre et six mètres de hauteur. La coupole est formée de coques en plastique inaltérable posé sur une structure métallique que l’on voit de l’intérieur : trente-six arches, dont douze escamotables.
Hublots pop
Un arc sur deux est percé de sept hublots lui donnant un look futuriste et pop. Une partie des arches se déplace pour découvrir le bassin. Dans le même temps, d’autres types de piscines en kit (Ikea avant l’heure !) fleurissent en France, issues des quatre autres meilleurs projets du plan Mille piscines et répondant aux jolis noms d’Iris, Plein-Ciel, Plein Soleil et Caneton.
Suivant les communes, jeux et bassins extérieurs sont parfois ajoutés. Tous genres confondus, 600 à 700 piscines ont été construites sur le territoire. Un peu loin des mille prévues mais pas tant... «Il semblerait qu’à Carros, nous ayons la dernière Tournesol
édifiée en France en 1982 » ,explique Franck Canavese, chef de bassin. Il remonte à l’origine. Carros le Neuf émerge en même temps que la zone
‘‘ Imaginées pour suivre la course du soleil”
d’activités. Attirant les actifs et leur famille. La ville est jeune, avec plein d’enfants à occuper. Carros se positionne d’emblée comme ville sportive. Se dote d’un stade, puis d’un mur d’escalade. Conçue pour un usage de 15 000 à 20 000 personnes par an, sa Tournesol avec vue sur les collines de Colomars et d’Aspremont est fréquentée par 60 000 baigneurs. « C’est une piscine qui demeure toujours très bien pensée pour l’apprentissage de la natation », souligne Thomas Raimondo. Sessions scolaires, club, aquayoga, aquagym, bébés nageurs tout en douceur et ouvertures au public occupent à 100 % le bassin.
Longévité de vingt-cinq ans
Comme à ses cousines, on donnait vingt-cinq ans d’espérance de vie à la piscine de Carros. Près de quatre décennies après son montage, couvée par un personnel aux petits soins, elle fait tout pour conserver sa jeunesse d’antan. En 2005, les locaux des vestiaires, le carrelage et la filtration ont été revus. En 2013, la pataugeoire, ultra-familiale, est créée. En 2017, le système de chauffage est modifié. « Il faudrait désormais revoir
la coupole », assure le directeur des sports
carrossois. Des solutions existent. « Les pièces détachées des Tournesol ont su évoluer. Concernant l’isolation phonique, notamment. Et pour les coupoles, à l’extérieur, il y a même des systèmes de panneaux solaires », explique Franck Canavese. Rénover. Parce que la ville, comme ses habitants, est attachée à cette structure préfabriquée. « Il y a quelque temps, on a demandé aux enfants de Carros de dessiner leur commune et il y avait toujours la piscine ! »
Combien de baigneurs ont appris à nager le papillon sous le Tournesol ? Y ont traîné leurs petits petons sur le carrelage ? Une quantité infinie... Comme dans toutes les villes qui avaient leur pistoche décapotable. Parmi eux, un certain Alain Bernard (médaille d’or au 100 m nage libre aux JO de Pékin 2008), Laure Manaudou (or au 400 m nage libre à Athènes en 2004) et Florent Manaudou (or au 50 m nage libre à Londres en 2012). Preuve, s’il en fallait, que le plan Mille piscines a bien fonctionné.