Var-Matin (Grand Toulon)

La belle Cadière ?

La Toulonnais­e Catherine Cadière, accusée d’avoir envoûté un prêtre, fut, en 1731, au centre d’une affaire de moeurs qui passionna la France entière.

- ANDRÉ PEYREGNE magazine@nicematin.fr

Catherine était orpheline. Son père, commerçant à Toulon, était mort lorsqu’elle était enfant. Elle fut élevée par sa mère. Dès l’enfance, elle connut ses premières crises de mysticisme. Elle avait des visions, tombait en extase.

À dix-neuf ans, elle fit appel à un prêtre pour l’accompagne­r dans sa vie. Ce fut Jean-Baptiste Girard, quarante-huit ans, recteur du Séminaire royal de la marine. C’est alors que l’« affaire » commença. Le prêtre prend son rôle au sérieux, s’empresse autour d’elle, se rend de plus en plus souvent chez elle. Ils s’enferment ensemble pendant des heures.

Dans l’entourage de Catherine, on commence à s’inquiéter. Jean-Baptiste Girard a-t-il succombé à son charme ? Le confesseur abuse-t-il de la « sainte » ? Devant l’ampleur des ragots, l’évêque de Toulon, Joseph-Pierre de Castellane, décide d’intervenir.

« Ma fille, il est temps de prendre le voile, tu seras plus près de Dieu… » Catherine entre au couvent d’Ollioules. On est en 1730. Elle a vingt et un ans.

Des baisers à travers la grille du parloir

L’historien Jules Michelet raconte : « L’abbesse du couvent d’Ollioules n’avait que trente-huit ans. Elle était vive, soudaine à aimer ou haïr… Elle s’empara de Catherine, la mena chez elle dans sa belle chambre et lui dit qu’elle la partagerai­t avec elle. L’abbesse voulut la coucher et la mettre dans son propre lit. Elle lui dit qu’elle l’aimait tant qu’elle voulait le lui faire partager. » Catherine se sent perdue. Le 6 juillet, en proie à une crise mystique, elle se griffe la tête aux endroits de la couronne d’épines de Jésus. Personne n’arrive à la calmer. Il n’y a qu’une solution : rappeler le prêtre Girard. Et voilà qu’une nouvelle relation se noue entre Catherine et l’abbé. Les visites de ce dernier sont de plus en plus fréquentes.

« Ils échangent des baisers à travers la grille du parloir ! », prétendent les religieuse­s.

‘‘ Elle avait des visions, tombait en extase, devenait l’objet d’adoration de la part de la population”

Janséniste­s contre jésuites

L’évêque de Toulon nomme alors auprès de Catherine un nouveau directeur de conscience. Ce sera le père Nicolas.

Les choses s’apaisent. Jusqu’au jour où le père Nicolas prétend avoir reçu des confidence­s de Catherine : « Le père Girard m’a approchée, m’a prise dans ses bras, a abusé de moi sexuelleme­nt. »

Le père Nicolas dit-il vrai ? Il appartient aux janséniste­s alors que le père Girard à la congrégati­on opposée des jésuites.

Le père Girard est arrêté.

On ne peut plus étouffer l’affaire. On se déchire dans la France entière. Il y a les clans Cadière mais aussi les clans Girard : le prêtre ne serait-il pas une victime, Catherine ne l’aurait-elle pas « envoûté » ? Ne serait-elle pas une sorcière au lieu d’une sainte ?

Condamnati­on à mort

Lors du procès qui a lieu à Aixen-Provence (la sénéchauss­ée de Toulon s’est déclarée incompéten­te), la France retient son souffle.

Le réquisitoi­re du 11 septembre 1731 réclame une condamnati­on à mort. On s’y attendait, les accusation­s étaient trop fortes, il fallait bien qu’on en arrive à cette sanction suprême ! La France est bouleversé­e : cette condamnati­on vise… Catherine Cadière ! « Elle sera ramenée à Toulon et, sur la place des Prêcheurs, pendue et étranglée », réclame le réquisitoi­re. Une vague de colère submerge le pays. Des défilés ont lieu dans les rues de Toulon plusieurs jours et nuits de suite. On brûle l’effigie du prêtre. On parle d’aller incendier les maisons des jésuites.

Il faudra attendre le jugement. Le verdict tombe le 11 octobre. Tous, représenta­nts du peuple, de l’église, des croyants, de la famille, de l’ordre public, des congrégati­ons religieuse­s, attendent la décision de justice. Rarement un pays a été aussi impatient d’un jugement. On est partout au bord de l’émeute. La condamnati­on de la belle Cadière sera-t-elle confirmée ? Qu’en sera-t-il du prêtre ? Aucun camp ne pardonnera à l’autre ! La décision est enfin là : Catherine Cadière, acquittée, JeanBaptis­te Girard, acquitté... Ainsi s’acheva l’« Affaire de la belle Cadière ».

Le père Girard retourna dans sa ville natale de Dole où, peu après, il mourut brutalemen­t. Quant à Catherine, lorsqu’on se présenta à sa porte pour la ramener chez sa mère à Toulon, elle avait disparu. On ne la retrouva jamais…

 ??  ?? Différente­s illustrati­ons des textes parus au XVIIIe siècle sur l’affaire : . Le baiser au parloir du couvent d’Ollioules.
. Ils passaient de plus en plus de temps enfermés ensemble.
. Le prêtre Girard, agresseur ou victime ?
Différente­s illustrati­ons des textes parus au XVIIIe siècle sur l’affaire : . Le baiser au parloir du couvent d’Ollioules. . Ils passaient de plus en plus de temps enfermés ensemble. . Le prêtre Girard, agresseur ou victime ?
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