« Jamais vu autant de misère depuis la guerre »
« Des pauvres de plus nombreux et de plus en plus pauvres », des associations débordées : Jean Stellittano, secrétaire départemental du Secours populaire des Alpes-Maritimes, tire la sonnette d’alarme
Vous parlez d’une explosion de la pauvreté…
C’est une marée qui ne cesse de monter. On a une très forte augmentation de la pauvreté à Nice et dans les Alpes-Maritimes depuis le début de la crise sanitaire.
Sur le département, on a constaté un doublement du nombre des personnes que l’on aide : on avait bénéficiaires en janvier et aujourd’hui. Pendant le premier confinement, on a eu, devant nos antennes de distribution alimentaire, des files d’attente de quatre ou cinq heures.
On n’a jamais vu autant de misère depuis la guerre.
Qui sont ces « nouveaux pauvres » ?
On aide trois fois plus d’étudiants que l’année dernière. Mais aussi, et c’est directement lié au tissu économique du département, essentiellement touristique et événementiel, des vacataires, des saisonniers, des petits commerçants. Des gens qu’on n’avait jamais vus avant, comme cette femme qui tenait une brasserie à Cannes et qui nous a dit : « Jamais de la vie je n’aurais pensé venir chez vous ! » Quand ils poussent la porte du Secours populaire, c’est qu’ils sont au bout du bout, qu’ils ont tout essayé. Leur situation est dramatique : ils ont un reste à vivre extrêmement faible, des dettes… Ce sont souvent des cas pour lesquels il n’y a pas d’aides possibles. On voit des gens qui n’ont plus rien du tout, qui n’arrivent même plus à accéder aux épiceries solidaires où les produits sont vendus à des prix extrêmement bas. Non seulement les pauvres sont de plus en plus nombreux mais ils sont de plus en plus pauvres…
Comment arrivez-vous à faire face ? Ce n’est plus tenable pour les associations humanitaires. Elles ont atteint le maximum de leurs capacités. Le Secours populaire est une des seules associations, avec les Restos du Coeur, qui arrive encore à accueillir de nouveaux publics. Mais c’est compliqué pour nous aussi. Avant mars , on était autosuffisants : les dotations de l’Union européenne et les ramasses [la récupération des invendus des grandes surfaces] comblaient les besoins. Aujourd’hui, on est obligés d’acheter sur nos fonds propres : on a dépensé euros par mois de nourriture. Le budget du Secours populaire des AlpesMaritimes a été triplé : c’est dû à la crise sanitaire mais aussi aux conséquences de la tempête Alex car on vient en aide à beaucoup de sinistrés. On tient grâce à la générosité du public, des mécènes, des entreprises, du gouvernement qui a mis la main à la poche pendant le premier et le deuxième confinement. N’empêche, les tensions financières sont là, croissantes.
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Quand ils poussent la porte, c’est qu’ils sont au bout du bout” “Si la pauvreté continue à progresser, on ne pourra plus faire face”
Vous peinez aussi à accueillir tout le monde ?
On a le souci de l’afflux. Notre antenne de la rue Vernier (Nice-centre) est ouverte six jours sur sept. On avait, à Pasteur (Nice-est), un local dédié au soutien scolaire et aux activités des enfants. En novembre, on l’a transformé en lieu de distribution alimentaire : en un mois, on a vu arriver personnes. On veut accueillir dignement, avoir cette écoute essentielle. De bric et de broc, on tient. Mais tous les signaux sont au rouge. On touche les limites du bénévolat et des moyens matériels. Si la pauvreté continue à progresser, on ne pourra plus faire face…
La misère va s’accélérer ?
Oui, selon nos diagnostics. On attend la vague. Mars est le mois des bilans des entreprises : il y aura de nouveaux dépôts de bilan, de nouveaux plans de licenciements… Ensuite, il y aura la fin de la trêve hivernale, des gens qui vont se retrouver à la rue. Le pire est à venir.
Quelles solutions ?
Il faut une réelle mobilisation des pouvoirs publics. Les dispositifs du gouvernement ont le mérite d’exister mais sont insuffisants. On a été soutenus par l’État parce qu’on faisait le job. Mais sans aide supplémentaire, on n’y parviendra plus. Et on est assez inquiets : quand on appelle la préfecture pour savoir s’ils vont mettre la main à la poche pour , on nous répond : « Ah, on ne sait pas… » On est en février et les services publics nous affirment qu’ils n’ont pas de visibilité sur la somme qu’ils vont nous allouer cette année et s’ils vont augmenter nos moyens. Pendant ce temps-là, la misère, elle, augmente…