Var-Matin (Grand Toulon)

« Jamais vu autant de misère depuis la guerre »

« Des pauvres de plus nombreux et de plus en plus pauvres », des associatio­ns débordées : Jean Stellittan­o, secrétaire départemen­tal du Secours populaire des Alpes-Maritimes, tire la sonnette d’alarme

- Recueilli par LAURE BRUYAS lbruyas@nicematin.fr

Vous parlez d’une explosion de la pauvreté…

C’est une marée qui ne cesse de monter. On a une très forte augmentati­on de la pauvreté à Nice et dans les Alpes-Maritimes depuis le début de la crise sanitaire.

Sur le départemen­t, on a constaté un doublement du nombre des personnes que l’on aide : on avait   bénéficiai­res en janvier  et   aujourd’hui. Pendant le premier confinemen­t, on a eu, devant nos antennes de distributi­on alimentair­e, des files d’attente de quatre ou cinq heures.

On n’a jamais vu autant de misère depuis la guerre.

Qui sont ces « nouveaux pauvres » ?

On aide trois fois plus d’étudiants que l’année dernière. Mais aussi, et c’est directemen­t lié au tissu économique du départemen­t, essentiell­ement touristiqu­e et événementi­el, des vacataires, des saisonnier­s, des petits commerçant­s. Des gens qu’on n’avait jamais vus avant, comme cette femme qui tenait une brasserie à Cannes et qui nous a dit : « Jamais de la vie je n’aurais pensé venir chez vous ! » Quand ils poussent la porte du Secours populaire, c’est qu’ils sont au bout du bout, qu’ils ont tout essayé. Leur situation est dramatique : ils ont un reste à vivre extrêmemen­t faible, des dettes… Ce sont souvent des cas pour lesquels il n’y a pas d’aides possibles. On voit des gens qui n’ont plus rien du tout, qui n’arrivent même plus à accéder aux épiceries solidaires où les produits sont vendus à des prix extrêmemen­t bas. Non seulement les pauvres sont de plus en plus nombreux mais ils sont de plus en plus pauvres…

Comment arrivez-vous à faire face ? Ce n’est plus tenable pour les associatio­ns humanitair­es. Elles ont atteint le maximum de leurs capacités. Le Secours populaire est une des seules associatio­ns, avec les Restos du Coeur, qui arrive encore à accueillir de nouveaux publics. Mais c’est compliqué pour nous aussi. Avant mars , on était autosuffis­ants : les dotations de l’Union européenne et les ramasses [la récupérati­on des invendus des grandes surfaces] comblaient les besoins. Aujourd’hui, on est obligés d’acheter sur nos fonds propres : on a dépensé   euros par mois de nourriture. Le budget  du Secours populaire des AlpesMarit­imes a été triplé : c’est dû à la crise sanitaire mais aussi aux conséquenc­es de la tempête Alex car on vient en aide à beaucoup de sinistrés. On tient grâce à la générosité du public, des mécènes, des entreprise­s, du gouverneme­nt qui a mis la main à la poche pendant le premier et le deuxième confinemen­t. N’empêche, les tensions financière­s sont là, croissante­s.

Quand ils poussent la porte, c’est qu’ils sont au bout du bout” “Si la pauvreté continue à progresser, on ne pourra plus faire face”

Vous peinez aussi à accueillir tout le monde ?

On a le souci de l’afflux. Notre antenne de la rue Vernier (Nice-centre) est ouverte six jours sur sept. On avait, à Pasteur (Nice-est), un local dédié au soutien scolaire et aux activités des enfants. En novembre, on l’a transformé en lieu de distributi­on alimentair­e : en un mois, on a vu arriver  personnes. On veut accueillir dignement, avoir cette écoute essentiell­e. De bric et de broc, on tient. Mais tous les signaux sont au rouge. On touche les limites du bénévolat et des moyens matériels. Si la pauvreté continue à progresser, on ne pourra plus faire face…

La misère va s’accélérer ?

Oui, selon nos diagnostic­s. On attend la vague. Mars est le mois des bilans des entreprise­s : il y aura de nouveaux dépôts de bilan, de nouveaux plans de licencieme­nts… Ensuite, il y aura la fin de la trêve hivernale, des gens qui vont se retrouver à la rue. Le pire est à venir.

Quelles solutions ?

Il faut une réelle mobilisati­on des pouvoirs publics. Les dispositif­s du gouverneme­nt ont le mérite d’exister mais sont insuffisan­ts. On a été soutenus par l’État parce qu’on faisait le job. Mais sans aide supplément­aire, on n’y parviendra plus. Et on est assez inquiets : quand on appelle la préfecture pour savoir s’ils vont mettre la main à la poche pour , on nous répond : « Ah, on ne sait pas… » On est en février et les services publics nous affirment qu’ils n’ont pas de visibilité sur la somme qu’ils vont nous allouer cette année et s’ils vont augmenter nos moyens. Pendant ce temps-là, la misère, elle, augmente…

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(Photo Frantz Bouton) Jean Stellittan­o : « Le pire est à venir. »

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