« J’étais sur le grand bateau »
Depuis le Gard où elle habite aujourd’hui, Odile Rebourg a vécu l’annonce du naufrage du Phocéa comme un choc. « Apprendre la destruction de ce bateau m’a fait mal. Ça m’a attristée », raconte cette sexagénaire. Ce drame survenu la semaine dernière en Malaisie, à plusieurs milliers de kilomètres de la France, l’a surtout ramenée 45 ans en arrière, lorsque toute jeune femme, Odile monta pour la première fois à bord du Club Méditerranée.
C’était à Toulon en février 1976, quelques jours à peine après le lancement du« navire monstre » d’Alain Colas comme l’avait titré Paris Match à l’époque. Bien des années plus tard, lors d’un voyage en Polynésie, Odile osera d’ailleurs aborder Teura, la veuve du navigateur français, par cette formule un brin mystérieuse : « J’étais sur le grand bateau ».
« J’ai fait partie de l’équipage »
On l’aura compris, Odile a fait plus que visiter le légendaire quatre-mâts, géant de 72 mètres de long avec lequel Alain Colas tenta de remporter une seconde Transat anglaise d’affilée en 1976. « J’ai fait partie de l’équipage », affirme-t-elle, sans fanfaronnade aucune. Pour la jeune femme alors âgée de vingt ans, c’est un sacré changement de dimension. Jusqu’ici, Odile n’avait pratiqué sa passion qu’à bord des dériveurs du club de voile du Mourillon, ainsi qu’au sein de la section voile de l’Association du sport scolaire universitaire du lycée Dumont-d’Urville. Du jour au lendemain, « après avoir répondu à un appel aux bonnes volontés », croit-elle se rappeler, elle embarque sur ce qui se fait de plus grand en matière de voilier ! « Il faut reconnaître que pour prendre des ris (réduire la surface des voiles, Ndlr), c’était un peu sportif », glisse-t-elle.
« Un sillage magnifique »
Mais l’ivresse du grand large n’est pas pour tout de suite. En ce mois de février 1976, le Club Méditerranée, qui n’a pas encore reçu ses quatre mâts, n’est pas plus agile que l’Albatros de Charles Baudelaire. Amarré au quai Fournel dans le port de commerce de Toulon, le voilier se résume pour ainsi dire à une coque nue. Pour aligner le bateau au départ de la course transatlantique, le 5 juin à Plymouth, les travaux ne manquent pas à bord ! Odile y prend toute sa part. Sa mission : coller les plaques d’antidérapant sur un pont aux dimensions immenses de 72 mètres par 10!« J’ai terminé la pose des dernières plaques au Havre, fin avril, juste avant qu’Alain Colas ne parte pour Plymouth ». Entre-temps, la jeune Toulonnaise a quand même eu l’occasion d’entrevoir le potentiel prometteur du voilier. Elle est bien sûr de la première sortie en mer devant Toulon. Quelques jours plus tard, alignée sur le pont avec le reste de l’équipage, elle assiste à son baptême dans le Vieux-Port de Marseille. Puis elle participe aux 500 milles de qualification du bateau en vue de la Transat. « C’était un superbe bateau. Il laissait un sillage magnifique », confie-t-elle. Une seule fois, Odile aura l’occasion de remonter à bord. C’était à l’été 1977, pendant la tournée des plages. « Quand le Club Méditerranée a fait escale à Toulon, Alain Colas m’a invitée à bord avec mon mari jusqu’à Saint-Tropez, l’étape suivante ». C’est aussi pour rendre hommage au marin, « très humain, très agréable », qu’elle a accepté, même dans ces circonstances particulières, d’évoquer le Club Méditerranée, le rêve fou du navigateur solitaire.