Var-Matin (Grand Toulon)

La Transat 1976, le rêve inabouti ,

« Mes plus belles années àbord»

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L’avenir appartient aux audacieux. Officier de la Marine marchande, Jean-Louis Baju n’en manqua pas lorsqu’en 1975, alors qu’Alain Colas venait d’avoir son accident à bord du trimaran Manureva (l’ex-Pen Duick IV de Tabarly), il lui proposa ses services. Le navigateur français, qui subit plusieurs interventi­ons chirurgica­les à sa cheville droite, accepte aussitôt.

Après quelques interventi­ons de Pierre Mazeaud, alors secrétaire d’État chargé de la Jeunesse et des Dsports, auprès des Messagerie­s Maritimes qui emploient Jean-Louis Baju, ce dernier débarque finalement à Toulon, « détaché » à bord du Club Méditerran­ée !

Un bateau fantastiqu­e

Le« Grand Bateau » est encore en constructi­on dans l’arsenal du Mourillon, une enceinte militaire d’autant plus difficile d’accès qu’on est en pleine guerre froide. Et Jean-Louis doit attendre que le voilier soit transféré au port de commerce voisin pour monter à bord. Le jeune officier de la Marine marchande ne tarde pas à se distinguer. « Alain Colas ne manquait pas de voileux pour l’aider sur le pont, alors je me suis occupé de la mécanique. Lors de l’armement du bateau, on a constaté que les deux groupes électrogèn­es ne rentraient pas dans la salle des machines. L’ingénieur Papon, qui avait supervisé la constructi­on, a proposé d’ouvrir une brèche. Colas n’était pas très chaud. J’ai attendu que tout le monde parte et, avec l’aide de 4 ou 5 gars, on a travaillé toute la nuit. Le lendemain matin, quand Papon et Colas sont arrivés avec un grand chalumeau pour découper le pont, les deux groupes étaient installés et ronronnaie­nt. C’est comme ça que j’ai gagné la confiance d’Alain Colas et l’autorité sur l’ensemble des bénévoles du chantier », raconte Jean-Louis Baju, sans emphase.

À partir de ce moment-là, Jean-Louis Baju sera de toute l’aventure du Club Méditerran­ée .«Àla voile, c’est le bateau le plus fantastiqu­e que j’ai connu. Par bon plein ou vent de travers, j’ai dépassé les 30 noeuds ! À cette vitesse-là, le bruit des vagues sur la coque devenait un chant ». Les qualités marines du quatre-mâts, le bras droit d’Alain Colas ne tarde pas à les découvrir. « Dès les premiers essais devant Toulon et lors des 500 milles qualificat­ifs, le bateau a donné totale satisfacti­on. Dans le golfe du Lion, on a fait qu’une bouchée du trimaran Manureva ».

Un bateau taillé pour le tour du monde contre vents et courants

Avec de telles performanc­es et une météo idéale, les 1 500 milles supplément­aires imposés en solitaire à Alain Colas par les organisate­urs anglais de la Transat 1976 ne sont qu’une formalité. « Parti de Lisbonne, le Club Méditerran­ée rejoint Le Havre en deux grands bords à peine », s’émerveille encore aujourd’hui Jean-Louis Baju. Après le remplaceme­nt de toutes les lattes et l’installati­on de drisses supplément­aires, le voilier, que beaucoup trouvent démesuré pour être manoeuvré par un seul homme, qui plus est diminué par sa jambe droite, semble fin prêt pour réussir l’incroyable pari : gagner la Transat. « En début de course, Alain Colas déclare lors d’une vacation radio : “Le bateau marche bien. Je bois ma tasse de thé tranquille­ment”. Mais très vite, les concurrent­s ont pris dépression sur dépression. Et à bord du Club Méditerran­ée, les drisses ont pété les unes après les autres », se souvient Jean-Louis Baju. Dépêché à Saint-Jean de Terre-Neuve pour une escale technique, Jean-Louis Baju, accompagné de

‘‘ On a fait le buzz en remontant l’Hudson River”

quelques autres fidèles compagnons, découvre alors un Club Méditerran­ée blessé, les voiles en vrac sur le pont. Mais rien n’est encore perdu. Le bateau, remis en état, repart après 36 heures d’escale. Mais c’est finalement Éric Tabarly qui arrivera en vainqueur à Newport… Moins de huit heures avant son grand rival Alain Colas. La désillusio­n passée, le Club Méditerran­ée est invité au défilé des grands voiliers sur l’Hudson River à l’occasion du bicentenai­re des États-Unis. « On s’est bien amusé. Avec les 35 mètres de tirant d’air du bateau, on était obligé de le faire gîter pour passer sous les ponts. On a fait le buzz », s’amuse Jean-Louis. Ce dernier n’hésite pas à dire que les deux années passées sur le Club Méditerran­ée, et notamment les tournées des plages où le voilier embarquait jusqu’à 100 personnes tous les après-midi, constituen­t « la période de ma vie la plus heureuse ».

Alors forcément, l’annonce de l’incendie, puis du naufrage du bateau en Malaisie, l’a profondéme­nt affecté.

Au point de décider de mettre sac à terre. Définitive­ment. « J’avais prévu d’arrêter à 77 ans, dans un peu plus de deux ans. Mais la vente de la goélette Atlantic sur laquelle je continuais à naviguer et la fin tragique du Grand Bateau me poussent à tourner la page ». À l’évocation de ces années heureuses, Jean-Louis Baju a un immense regret : « Celui de ne pas avoir réussi à convaincre Alain Colas de tenter le record du tour du monde à l’envers, contre vents et courants. Le Club Méditerran­ée était taillé pour ça ! »

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Club Méditerran­ée.
(Photo DR) Alain Colas, lunettes de soleil sur le nez, et son bras droit Jean-Louis Baju à bord du Club Méditerran­ée.
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De gauche à droite : Alain Colas et Jean-Louis Baju à la timonerie du Construit dans l’arsenal du Mourillon à Toulon, l’immense monocoque est armé dans le port de commerce voisin. Le baptême du voilier a lieu quant à lui dans le Vieux Port de Marseille.
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Club Méditerran­ée.

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