Cyrulnik : « Le doute est mal vécu »
Le neuropsychiatre varois Boris Cyrulnik y va sans détour : le clivage dans la société est dû à ceux qui refusent de se faire vacciner. Et « moins on a de connaissance, plus on a de conviction et de croyance ».
Comment expliquer cette fracture dans la société ?
C’est la règle dès qu’il y a une crise grave. Il y a une grosse partie de la population qui réagit en gardant sa liberté intérieure, qui doute, se pose des questions. Et puis, il y a toujours des gens qui ont des convictions a priori, des croyances, se disent qu’il y a un complot. Avant l’arrivée de la science, on faisait appel à l’armée. Lors de l’épidémie de peste de , à Nice, le duc de Savoie avait fait encercler Nice et abattait les Niçois qui essayaient de fuir. Pendant la grippe espagnole de , les gouvernements n’ont pas pris de protection et ont envoyé au front des soldats contaminants. Cela a fait entre et millions de morts. Soit, plus que la guerre.
Comment cela se traduit dans les familles aujourd’hui ?
Ce phénomène se répète. Les croyances désignent un bouc émissaire, sans démonstration possible. C’est le gouvernement, les laboratoires, des puissances invisibles qui nous gouvernent. C’est comme l’affaire Dreyfus, ou dans l’Allemagne des années , avec les anti et les pro-nazis. C’est compliqué, car il n’y a pas d’argument logique. Le doute est mal vécu : le virus évolue, les scientifiques et le gouvernement proposent des solutions qui changent. Ceux qui ont des convictions disent que ce n’est pas logique, ils ont besoin de certitudes. D’où les conflits.
Comment résoudre ces conflits familiaux ?
Ce n’est pas des familles que viendront les solutions, mais plutôt culturellement, en donnant la parole aux politiciens, aux scientifiques. C’est le propre de la démocratie. Ceux qui doutent encore, leur coeur leur dira de se faire vacciner, surtout au vu du rapport risque/bénéfice. Ceux qui ont besoin de convictions vont juste chercher d’où vient le mal. Aux États-Unis, on a vu des ratonnades anti-Chinois.
Beaucoup invoquent leur liberté individuelle…
Les gens en appellent à leur liberté individuelle. Ils disent que ces lois sont liberticides. C’est vrai. Mais on n’a pas le droit de tuer ses parents et les soignants de tuer leurs malades. En échange de ces lois, on s’attaque à l’épidémie.
Mais cette question n’estelle pas une question de confiance : envers les scientifiques, le gouvernement ?
Moins on a de connaissance, plus on a de conviction et de croyance. Les clivages, dans les familles, sont dus à ceux qui doutent de l’efficacité du vaccin. Alors qu’il est déjà bien évalué.
Si les gens ne se font pas vacciner, le virus va varier, les vaccins seront de moins en moins efficaces, il faudra une troisième dose, reconfiner, tout recommencer… Et ils l’auront provoqué. C’est pourtant la seule solution, et d’éviter la dictature. Dans le monde, les dictateurs sont arrivés au pouvoir après des périodes de chaos.
Le gouvernement est accusé de provoquer ces clivages…
Le gouvernement ne crée pas de dispute intrafamiliale. Il ne peut pas donner l’autorisation aux enfants de tuer leurs parents. Il dit ce que les scientifiques lui ont dit. Il juge et énonce la loi. C’est sa fonction. Si on laisse développer le virus, les familles seront décimées par la mort.